Musée du Luxembourg

Le soleil de la Provence à Paris

Apparemment pittoresque mais capital

Le Journal des Arts

Le 1 juin 1995 - 611 mots

Soucieuse de mettre en valeur son patrimoine artistique, l’Institution Régionale Provence-Alpes-Côte d’Azur a choisi le thème des peintres de la couleur en Provence 1870-1920, apparemment pittoresque – mais en fait capital dans le bouleversement de la peinture au tournant du siècle – pour une exposition qui, après Marseille mais avant Milan et Barcelone, apporte aux Parisiens le soleil de Provence.

PARIS - La centaine d’œuvres accrochées au Luxembourg ont été réunies par un commissariat artistique assez original, composé de la plupart des conservateurs des musées de la région, ce qui assure la rigueur scientifique de l’entreprise.

Ne compte-t-elle pas déjà de superbes précédents comme "Le paysage provençal et l’École de Marseille avant l’Impres­sion­nisme", monté en 1992, dans son musée, par J.R. Soubiran, conservateur à Toulon ? Le thème choisi s’inscrit d’ailleurs dans une exacte continuité temporelle mais s’ouvre aussi aux non provençaux, à ceux qui, tels Bonnard ou Braque, ont suivi la mode naissante à l’époque du séjour en Provence.

La démonstration que veulent réussir ces conservateurs est en effet claire : prouver que si l’Impressionnisme est un produit de la lumière du nord de la France, l’éclat des couleurs provençales, qui avait entraîné au XIXe siècle l’émergence de belles écoles locales de paysage, a joué un rôle indéniable dans la formation du Fauvisme et du Cubisme.

L’influence discrète de Félix Ziem
Les écoles locales, traditionnelles par essence, ouvrent donc l’exposition avec le dernier fleuron de ce courant naturaliste qui avait fait, au milieu du siècle, les belles heures de l’École de Marseille, le peintre Émile Loubon. Réalisme et goût manifeste pour la couleur se mêlent dans La corniche à Mar­seille (Musée de Toulon) de Jean-Baptiste Olive, à qui l’on doit le décor du Buffet de la gare de Lyon. Sur eux, plane l’influence discrète de l’une des trois grandes personnalités de l’exposition, Félix Ziem, Bourguignon voyageur implanté en Provence.

Chez d’autres Provençaux, la peinture se fait plus dure, la lumière et la matière plus denses : le Fauvisme d’un Verdilhon ou d’un Seyssaud doit certainement beaucoup à la force d’Aldolphe Monticelli (1824-1886), représenté notamment ici par l’une de ses œuvres les plus intenses : La roche percée (v. 1882, collection particulière), où le contre-jour du pêcheur sous la roche et la pâte épaisse font éclater la lumière.

L’attrait du Midi réunit presque toute la grande génération du début du siècle, qui trouve en Provence la qualité de couleur propre à servir sa démarche. De Signac à Braque, Bonnard, Marquet ou Derain, les vues de l’Estaque, Cassis ou Saint-Tropez montrent comment la différence de la manière est atténuée par un même rayonnement des tonalités intenses. Cette unité de la vision provençale sous la lumière du Midi triomphe avec les deux étrangers par excellence que sont Gauguin (Les Alyscamps, Musée d’Orsay) et Van Gogh, les amis d’Arles.

Couleur n’est d’ailleurs pas uniquement paysage, comme le prouve un judicieux choix de portraits des plus grands peintres : l’Arlésienne (Orsay), mais aussi la beaucoup moins célèbre Jeune fille ébouriffée (La Chaux-de-Fonds) pour Van Gogh, Claudine (Saint-Tropez) pour Dufy, et L’enfant au chapeau de paille pour Cézanne. Son œuvre est évidemment le point d’orgue, à la fois provençal et universel, du cheminement de l’exposition : les vues de la Sainte-Victoire ne sont pas présentes en raison d’une exposition récente (Granet, Avignon, 1990), mais le choix audacieux inclut un dessin de rochers, propre à symboliser son approche la plus directe de la nature et une Vue de Gardanne (Musée de Brooklyn). En trois œuvres, c’est presque l’essentiel d’un regard sur la Provence qui illumine celui de tous ses prédécesseurs.

"Les peintres de la couleur en Provence 1870-1920", Musée du Luxembourg, Paris, jusqu’au 6 août. Catalogue 360 p.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°15 du 1 juin 1995, avec le titre suivant : Le soleil de la Provence à Paris

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