La cote dans les ventes Publiques françaises

Les faïences du soleil : une imperturbable solidité

Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1995 - 1215 mots

En cette période de migration estivale vers le Midi, nous avons retenu un sujet de saison et essentiellement français : le marché des faïences du Midi. Celui-ci s’articule autour de deux principaux centres de production, Moustiers et Marseille. Intéressant un public d’amateurs qui déborde largement le strict cadre régional, il demeure d’une imperturbable solidité.

Quand, en novembre dernier, Mes Ader et Tajan ont adjugé 490 000 francs une paire de soupières en faïence de Marseille, ils ont établi un record indiscutable. Mais ce serait aller vite en besogne que de croire qu’ils ont ainsi fixé une nouvelle cote : en matière de faïences, pas plus qu’en d’autres domaines, les prix exceptionnels ne semblent pas véritablement significatifs de l’ensemble du marché.

Dans la plupart des cas, les cours sont autrement raisonnables – à partir de 3 000 francs le plus souvent –, et une enchère dépassant 100 000 francs fait figure d’événement. Les cours apparaissent cependant fermes, d’autant plus qu’un large cercle d’amateurs se montre prêt à les défendre. Ce marché, qui est demeuré à l’abri des mouvements spéculatifs, reste donc aujourd’hui solide et traverse indemne la phase de récession qui affecte encore tant de secteurs.

Les faïences du Midi tirent leur origine de deux sources : l’Italie toute proche, où de nombreux faïenciers se sont illustrés dès la Renaissance, mais aussi l’Espagne, dont les productions pénétraient en France par les ports, Narbonne par exemple. On pense, sans toutefois disposer de preuve autre que la sonorité de certains noms, tel celui de Boselli à Marseille, que des ouvriers italiens se sont établis dans le Midi et y ont fondé des ateliers. Quoi qu’il en soit, dès la seconde moitié du XVIIe siècle, les Clérissy sont implantés à Moustiers. Joseph, membre de cette dynastie, sera à l’origine de la première manufacture de Marseille en se fixant à Saint-Jean-du-Désert, un faubourg de la ville.

“L’Oncle” et “le Neveu”
Au départ, les productions des deux centres se différencient assez peu, avec des décors de grand feu en camaïeu bleu et des thèmes souvent empruntés (comme l’a également fait Nevers) à Tempesta ; on voit aussi des lambrequins et, à partir de 1710, des motifs inspirés par Bérain. Dès la première moitié du XVIIIe siècle, ces deux centres ont acquis une personnalité propre. Le faïencier Olérys arrive à Moustiers venant d’Alcora (Espagne), et y instaure la polychromie de grand feu ; celle-ci surgira parallèlement à Marseille, grâce à Joseph Fauchier (dit «l’Oncle»).

À travers cette nouvelle technique de décor, les créations vont s’individualiser. Cependant, des liens persistent, dûs à la fois à la proximité et au fait que les faïenciers se retrouvaient sans doute sur les foires régionales, où ils échangeaient (ou copiaient...) modèles et idées.

Les évolutions sont donc relativement superposables tout au long du XVIIIe siècle. À Moustiers, après Olérys, apparaissent les Fouque, et notamment Joseph qui, entre 1749 et 1770, travaillera avec Pelloquin. Viendront un peu plus tard les Ferrat, et avec eux la polychromie dite de petit feu. Ce progrès technique est dû à l’emploi de la «pourpre de Cassius» : il s’agit d’un rouge obtenu par la précipitation de chlorure d’or en présence d’étain, et qui supporte une cuisson à basse température, d’où le terme de petit feu. Les productions marseillaises se classifient selon un schéma similaire.

La première période, celle des décors de grand feu en camaïeu bleu, s’achève en 1733, mais, dès 1711, apparaît la polychromie de grand feu, qui coexistera avec elle pendant une vingtaine d’années et se terminera au milieu du XVIIIe siècle : les manufactures de Louis Leroy et Joseph Fauchier (dit «le Neveu») illustreront cette technique.

La polychromie de petit feu, à partir de 1752, marque aux yeux de beaucoup d’amateurs l’apogée des faïences marseillaises. C’est le temps des grandes manufactures, celles de la Veuve Perrin, de Gaspard Robert (1754-1793), d’Honoré Salvy (1764-1782), d’Antoine Bonnefoy (1777-1793) et d’Antoine Leroy (1778-1780). Les dates le prouvent : l’histoire de ces manufactures correspond presque exactement à un siècle, le XVIIIe.

Les bleus typiques de Montpellier
Les autres centres du Midi sont loin d’avoir une importance comparable à ceux que nous venons de citer. N’a-t-on pas nié jusqu’à l’existence de faïenceries à Montpellier ? Selon l’expert Jean-Gabriel Peyre, il existe certes de grandes similitudes entre les œuvres montpelliéraines et celles nées à Moustiers, tant dans les formes que dans les décors. Mais les premières possèdent certains éléments caractéristiques : ainsi, les bouquets de fleurs sont souvent ramassés et incluent des plantes telles que la pensée ou la camomille ; de même, certains tons de bleu sont typiques de Montpellier ; à noter aussi que l’aile des assiettes présente souvent des godrons sur son bord.

Enfin, et s’agissant de pièces à fond jaune, le ton utilisé à Marseille apparaît plus soutenu que celui employé à Montpellier. Tous ces éléments permettent donc d’identifier les faïences nées dans cette ville.

En revanche, il est pratiquement impossible de différencier les faïences d’Apt de celles du Castellet. En 1728, Joseph Moulin avait ouvert au Castellet une faïencerie qui travaillera jusqu’au milieu du XIXe siècle. Ses fils, Claude-François et Jacques-Barthélémy, ouvriront pour leur part une manufacture à Apt en 1770.

Si l’on confond les productions de ces deux centres, du moins se distinguent-elles aisément des autres faïences du Midi. Moustiers, Marseille et Montpellier ont créé des faïences stannifères à partir d’une terre colorée sur laquelle on appliquait une couverte opaque stannifère (contenant de l’étain) ; les faïences fines d’Apt et du Castellet sont au contraire à base de terre blanche recouverte d’une glaçure plombifère translucide.

Paris, plaque tournante du marché
Classiques par leurs formes, encore que la gargoulette soit une création propre au Midi, les faïences méridionales se parent de décors variés propres à séduire maints collectionneurs : des scènes bibliques des débuts aux paysages inspirés par Pillement ou Lacroix de Marseille, en passant par les chinoiseries, les grotesques, les poissons ou les fleurs, il y en a vraiment pour tous les goûts, et là réside sans doute la clef de leur succès.

Car ce serait un tort de croire que ces céramiques intéressent les seuls Méridionaux. «Il y a bien sûr des collectionneurs du Midi ou originaires de cette région, mais, précise Jean­-Gabriel Peyre, une belle pièce intéressera également tous les amateurs de faïences, sans distinction d’origine géographique».

D’ailleurs, la plupart des grands marchands sont regroupés à Paris, où se déroulent les ventes publiques les plus importantes ; on assiste en fait à des phénomènes comparables à propos des faïences de Strasbourg ou de Rouen, preuve que Paris est bel et bien devenu la plaque tournante du marché de maintes productions régionales. Les prix des faïences du Midi sont stables dans leur ensemble, mais pour un collectionneur, il s’agit là d’une considération relativement secondaire car il s’attachera avant tout à obtenir une pièce exceptionnelle, les considérations matérielles n’intervenant que dans un deuxième temps. Enfin, et contrairement à une opinion très répandue, les accidents ne font pas forcément chuter les prix de façon vertigineuse.

Tout dépend en fait de la qualité de l’objet : une assiette sans grand intérêt deviendra invendable à la moindre imperfection ; en revanche, un accident minime n’affectera que faiblement la valeur d’un objet de grande qualité. En cela, le marché des faïences du Midi se différencie-t-il vraiment de celui des autres secteurs du marché de l’art ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°16 du 1 juillet 1995, avec le titre suivant : La cote dans les ventes Publiques françaises

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