Vente IBM : un succès ambigu

La dispersion de la collection IBM avait valeur de symbole

Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1995 - 730 mots

Avec 31 millions de dollars (155 millions de francs), la vente de peintures américaines du 25 mai chez Sotheby’s New York, dominée par la dispersion très attendue de la collection IBM, a constitué l’événement le plus important dans ce secteur depuis les années soixante-dix.

NEW YORK - L’estimation globale des tableaux de la collection IBM s’est révélée exacte, alors que le caractère assez confidentiel de la collection aurait pu la faire sous-coter. Cette vente a mis en circulation quelques œuvres remarquables, donnant ainsi un coup de fouet au marché américain.
Commencée à la fin des années trente par Thomas Watson, le "père fondateur", la collection IBM était probablement la plus ancienne et la plus importante collection d’entreprise aux États-Unis.

En plus des subventions artistiques et de la galerie d’exposition, aujourd’hui fermée, celle-ci assurait l’essentiel de l’image d’IBM en matière de mécénat culturel. Les justifications avancées pour cette vente – entre autres, le prétexte que les toiles "dormaient" dans les réserves – paraissent ridicules. Un simple coup d’œil sur l’historique des tableaux majeurs de la collection montre en effet qu’ils ont tous été exposés, souvent plusieurs fois, au cours des six ou huit dernières années.

Cinq records d’artistes battus
À la suite de sévères pertes financières et de licenciements massifs, la vente des tableaux constituerait plutôt un geste symbolique en direction des actionnaires et des employés. Les 28 millions de dollars (140 millions de francs) obtenus lors de la vente – art d’Amérique latine et art contemporain inclus – sont dérisoires à côté du milliard et demi de dollars d’économies décidé par IBM. Interrogé à ce propos, un porte-parole de l’entreprise a déclaré : "Nous ne sommes pas dans l’art business ; nous travaillons dans l’information technology business."

Cette dispersion a été l’occasion de voir cinq records tomber. Doublant le record personnel de l’artiste, Easter Snow de George Bellow, une œuvre majeure de l’école Ash Can représentant une scène de parc new-yorkais, est partie à 2,6 millions de dollars (13 millions de francs), pour une estimation de 1,5 à 2 millions de dollars. Son acquisition par le collectionneur Richard Manoogian, de Detroit – mieux connu pour son goût pour les paysagistes de l’Hudson et l’Impres­sionnisme américain – a un peu surpris.

Bleecker Street-Saturday Night de John Sloan, une autre œuvre de premier plan de l’école Ash Can, estimée entre 500 000 et 750 000 dollars, a fait 775 000 dollars (3,9 millions de francs), un prix qui triple la cote de l’artiste mais demeure néanmoins décevant. Le précédent record avait été établi il y a quinze ans, pour une scène de Gloucester (Massa­chusetts) beaucoup moins séduisante. Depuis, aucune œuvre de Sloan n’était passée en salle des ventes.

Sotheby’s avait même annoncé à l’époque qu’il n’y avait plus de "scène de New York" connue en mains privées, et que ce serait probablement la dernière à être mise sur le marché : personne ne pouvait imaginer que des collections comme celles d’IBM viendraient un jour à être dispersées. Aujourd’hui, sauf vente par un musée, ce pourrait bien être le dernier "New York" de Sloan, et un prix inférieur à 1 million de dollars était loin d’être excessif.

Christie’s contraint de gonfler ses estimations
The Sisters, de Frank Benson (estimé entre 1,5 million et 2 millions de dollars), très représentatif de la manière brillante de cet impressionniste américain, mélange de portrait et de paysagisme, a été vendu 3,8 millions de dollars (19 millions de francs), alors que l’estimation paraissait élevée.

Quadruplant presque la cote de Benson établie chez Christie’s le jour précédent, l’œuvre a été achetée par Berry-Hill Galleries, mandataires du collectionneur Daniel Terra. En revanche, Nova Scotia Fisherman, de Marsen Hartley, était surestimé entre 700 000 et 900 000 dollars. Cette estimation, proche du record établi pour un Hartley dernière manière, a découragé toute tentative d’enchère.

La vente de Christie’s, le 24 mai, était condamnée d’avance – même si elle a rapporté 6 millions de dollars (30 millions de francs) –, Christie’s s’étant vu contrainte de proposer des estimations très hautes pour tenter de faire bonne contenance. Il y avait pourtant de bonnes toiles, et la vente a même battu (très provisoirement, parfois) quelques records, comme par exemple ce paysage-portrait de son épouse par Frank Benson, estimé 800 000 à 1,2 million de dollars, parti sur enchère téléphonique à 775 000 dollars (3,9 millions de francs). Un record battu dès le lendemain chez Sotheby’s.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°16 du 1 juillet 1995, avec le titre suivant : Vente IBM : un succès ambigu

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque