Un "Musée pharaonique" pour Le Caire, Farouk Hosni : "Un coût de 500 millions de dollars"

Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1995 - 878 mots

Dans un entretien avec le Journal des Arts, M. Farouk Hosni, ministre des Affaires culturelles de la République arabe d’Égypte, fait le point sur le projet du nouveau musée des antiquités. Il se déclare favorable au retour dans son pays de \"quelques pièces, actuellement dans les collections occidentales\". Cette interview a été réalisée à Paris, lors du vernissage à l’Unesco de l’exposition de ce ministre qui est également artiste.

Le Journal des Arts : En décembre, une décision de la justice égyptienne a remis en cause le prêt par votre pays d’œuvres pour des expositions à l’étranger (lire la note ci-dessous). Qu’en est-il exactement ?

M. Farouk Hosni. Cette décision de justice est très limitée. Elle s’applique exclusivement aux pièces jugées à la fois uniques et susceptibles d’être détériorées au cours de leur transport. Nous sommes en train de travailler sur un projet de musée d’antiquités égyptiennes unique au monde, près de Guizèh ; aussi y a-t-il effectivement quelques pièces, quelques chefs-d’œuvre, que nous ne prêterons plus. Par ailleurs, nous montrerons dans le musée une multitude d’œuvres, dont beaucoup n’ont jamais été exposées.

S’agissant de chefs-d’œuvre de l’art égyptien, revendiquez-vous pour votre nouveau musée la restitution de certaines pièces détenues dans les collections occidentales ?
Je considère que notre tête de Nefertiti est mille fois plus gracieuse que celle de Berlin, alors la notion de chef-d’œuvre... Mais il est vrai qu’il y a des milliers de pièces du patrimoine égyptien dispersées entre Londres, Turin, Paris et Berlin. Turin est le second musée d’antiquités égyptiennes au monde, après celui du Caire ! Alors, demain, pourquoi quelques œuvres comme la Pierre de Rosette ne viendraient-elles pas dans notre musée ?

Vous semblez lier la question du prêt à celle de la restitution ?
Je tiens à souligner que le patrimoine de l’Égypte, dans son ensemble, appartient à l’humanité toute entière. Regardez, nous avons même donné des temples complets à certains pays. Il y en a en Allemagne, à New York – le fameux temple de Dendour au Metropo­litan –, à Madrid et en Italie. Je ne dis pas comme la Grèce : "Rendez tout". Je pense que quelques pièces, actuellement dans les collections occidentales, trouveraient parfaitement leur place dans le grand musée que nous allons bâtir. Une sorte de contribution. Ma demande est raisonnable, elle fait appel à l’élégance et à la raison de pays qui possèdent déjà des milliers d’œuvres.

À combien s’élève l’aide de l’Italie en faveur de ce nouveau musée ?
Un million et demi de dollars, destiné au financement des études préalables. C’est un acte généreux. Je l’en remercie.

À quel stade en est le projet, et à combien évaluez-vous le coût de cette nouvelle institution ?
Les études approfondies sont en voie d’achèvement. Dans un an, nous lancerons une consultation internationale pour sélectionner les architectes. Nous estimons que ce musée coûtera environ 500 millions de dollars. Il appartiendra à un comité scientifique d’en déterminer le programme et le contenu. En tout état de cause, ce sera une réalisation extraordinaire : elle comprendra, outre les collections, une école, un centre de restauration des antiquités, un laboratoire, une école... L’en­semble occupera 60 hectares sur les collines qui font face à celles des pyramides de Guizèh.

Comment financerez-vous ce projet ?
Les banques égyptiennes et l’État en seront les investisseurs, d’autant plus qu’un nouvel aéroport est à l’étude entre El-Fayoum et Guizèh. Songez qu’il y a environ douze millions de personnes en transit chaque année. On pourrait imaginer des navettes vers le musée. En tout cas, cela va certainement dynamiser hôtels et restaurants... C’est un investissement dont nous espérons des retombées en termes de tourisme et d’économie, qui animera cette zone un peu désertique.

Dans quelle situation se trouve le tourisme, qui constitue pour votre pays l’une de ses principales ressources économiques ?
La situation s’améliore doucement. Mais nous n’avons pas encore retrouvé notre meilleur niveau de 1992.

Vous cherchez actuellement à développer le tourisme dans des régions à la fois sûres et peu connues, comme celle du Delta et celle du lac Nasser...
Oui, nous faisons d’importants efforts en Nubie. Le Musée nubien d’Assouan devrait ouvrir dans une dizaine de mois. D’autre part, un très beau bateau vient d’entrer en service sur le Lac Nasser : il propose des croisières permettant, notamment, de découvrir nombre de monuments sauvés des eaux du lac et totalement méconnus du public, lequel se limite, en général, aux temples d’Abou Simbel et de Philae.

1 La Haute Cour de justice du Caire, dont le jugement est théoriquement sans appel, a interdit le 3 décembre 1994, après une campagne lancée par une archéologue égyptienne, Mme Fouad, l’exposition de 72 pièces d’antiquités égyptiennes alors «en tournée» au Japon. Le verdict de la Cour soulignait que «désormais, seules les pièces d’antiquité n’ayant pas un caractère unique et ne risquant pas d’être abîmées pourront être exposées hors d’Égypte.» Trente-sept pièces, parmi les soixante-douze concernées par l’interdiction, étaient ainsi considérées comme uniques et avaient, à ce titre, été prudemment rapatriées deux jours avant le verdict par le ministère de la Culture, ce dernier préférant prendre les devants plutôt que sembler se soumettre à une décision qu’il conteste encore aujourd’hui. La Cour prétendait par ailleurs que "plusieurs pièces antiques uniques sont revenues détériorées après des expositions organisées aux États-Unis, au Canada et en Australie.".

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°16 du 1 juillet 1995, avec le titre suivant : Un "Musée pharaonique" pour Le Caire, Farouk Hosni : "Un coût de 500 millions de dollars"

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