Le mois vu par Madame Carven

Couturière et collectionneur

Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1995 - 866 mots

Madame Carven fête les 50 ans de sa maison de couture. Avec son second mari, René Grog, elle a constitué une extraordinaire collection de meubles et d’objets d’art du XVIIIe siècle, qui iront au Musée du Louvre et au Musée Guimet. Elle nous reçoit dans son appartement de l’avenue Foch, devant la célèbre Vierge en majesté du Maître du feuillage en broderie, et commente l’actualité du mois.

La XIe Biennale internationale des antiquaires de Monaco se tient du 29 juillet au 15 août. Vous y rendrez-vous ?
Mes amis antiquaires m’ont toujours invitée dans les salons, et cela fait des années et des années que j’essaie de ne pas rater la Biennale de Monte-Carlo. Les stands sont souvent d’une belle qualité, certains présentent des objets exceptionnels. La Biennale est passionnante pour celles et ceux qui, comme moi, ont le petit démon de la décoration dans l’âme ; elle apporte également aux amateurs qui savent prendre le temps de regarder, beaucoup de plaisir et de joie.

Au-delà de leur histoire et de leur signature, tous les meubles que vous voyez ici sont devenus mes amis. Chaque commode, chaque siège, chaque tapisserie me rappelle quelque chose, les circonstances de leur acquisition par mon mari ou les commentaires de Daniel Alcouffe, le conservateur du département des Objets d’art du Louvre, qui en parle si savamment.

Des souvenirs cocasses aussi, comme celui de Paul Getty à genoux devant ce bureau Louis XV, estampillé Joseph – il avait acheté le même pour son musée en Californie. Ni cette collection de meubles, ni celle des 87 oiseaux en porcelaine de Chine n’auraient pu être constituées sans la ténacité de mon mari… et sans les recherches de certains grands antiquaires qui exposent à Monte-Carlo.

Autre Biennale d’un genre différent, la Biennale de Venise qui fête son centenaire. Que vous inspire cette manifestation internationale de l’art contemporain ?
J’adore Venise. Ce serait une raison pour y aller, même si la peinture contemporaine n’est pas vraiment ma préférée. Enfin, elle est souvent novatrice, créatrice de recherches intéressantes dans les couleurs. Cette juxtaposition des coloris, si joyeuse chez Matisse et chez les Fauves en général, me guide pour donner de la fraîcheur et de la gaieté à mes vêtements. C’est une bonne école de regarder les peintres qui savent manier les couleurs, mais sont-ils à Venise ?

Cet été, je ne manquerai pas d’aller voir Bacon à la Fondation Maeght, que je visite chaque année. J’avais aimé l’exposition Nicolas de Staël, et l’accrochage qui montrait sa maîtrise dans le maniement des volumes, un modèle de rigueur éclatant de couleurs quelquefois.

Et cette monumentale sculpture de César dans la cité des Doges ?
Je félicite César, que je connais depuis longtemps, d’avoir été choisi pour le pavillon français. Récemment, j’ai pu voir une voiture qu’il a peinte, avant de la compresser j’imagine. Je ne dis pas que j’oserais me promener dans cette voiture, mais je trouve cela très amusant. C’est du César tout pur, gentiment provocateur…

L’été est le moment des grandes rencontres de photographie, comme celles d’Arles. De nombreuses galeries exposent des photogra­phes. Quels sont ceux que vous appréciez ?
J’étais très liée à Jacques-Henri Lartigue, que j’ai rencontré en 1946 et qui m’a fait découvrir la magie de la photographie. Il fut également un très grand portraitiste – ce qui est moins connu – en tant que peintre. D’ailleurs, il va y avoir une rue Lartigue près de l’Institut, et c’est justice. J’apprécie la qualité de la photographie plus que le choc qu’elle peut provoquer. J’ai aimé la grande exposition de Richard Avedon, et les clichés de Georges Tourdjman ont beaucoup de charme et de classe.

À Paris, le Musée de la mode et du costume expose actuellement des dessins de couturiers. Beaucoup de couturiers, dont vous  même, sont entrés dans les musées. La mode et le costume au musée, qu’est-ce que cela vous inspire ?
En ce qui me concerne, je suis plus architecte que dessinatrice. Mon beau-frère, Robert Mallet-Stevens, m’a enseigné le goût des proportions et des lignes pures, qui ont inspiré toutes mes collections.

Un dessin, c’est joli à regarder mais ce n’est jamais la réalité du vêtement.
Tous les musées ont compris que la mode, la haute couture, mais aussi les expériences qui en découlent dans le prêt-à-porter, y avaient leur place en tant que création de volumes, association de couleurs, de tissus et de broderies. Galliera est un musée où les robes ne finissent pas leurs jours, elles y continuent à vivre, pour le plus grand bonheur de tous.

C’est comme les costumes de théâtre ou de ballet, pour lesquels j’ai souvent travaillé. Je trouve admirable que de belles expositions consacrent les collaborations des metteurs en scène, des chorégraphes, des décorateurs, des couturiers… et des peintres quelquefois. J’avais aimé Derain et le ballet au Musée d’art moderne de Paris. J’irai voir les costumes créés par Fernand Léger à Biot, et bien entendu ceux conçus par Chagall pour "L’oiseau de feu" à Nice. Les couleurs de ce peintre sont si lumineuses, elles s’opposent si franchement, elles sont si pleines de gaieté… comme mes vêtements.

À lire : Dominique Paulvé, Carven, un demi-siècle d’élégance, éditions Gründ, 208 p., 250 ill. dont 101 en couleurs, 680 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°16 du 1 juillet 1995, avec le titre suivant : Le mois vu par Madame Carven

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