Le parfum de la nouveauté

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2010 - 682 mots

Le Prix de dessin contemporain de la Fondation Daniel et Florence Guerlain devient annuel et est remis au Salon du dessin. Portrait des trois artistes en lice cette année.

 Le Prix de dessin
contemporain de la Fondation Daniel et Florence Guerlain, jusqu’ici biennal, devient annuel à partir de l’édition 2010. Ce prix récompense des artistes français ou étrangers pour qui le dessin occupe une place significative dans l’œuvre. Il sera décerné le 25 mars dans le cadre du Salon du dessin. L’un des trois artistes désignés en décembre 2009, Catharina Van Eetvelde, Thomas Müller et Dove Allouche, recevra 15 000 euros et se verra acheter un dessin par la Fondation, une pièce remise par la suite au cabinet d’art graphiques du Musée national d’art moderne.

Dove Allouche

Topographe, reporter ou archiviste, Dove Allouche est plus connu en tant que photographe et dessinateur. Cependant, chaque série de l’artiste né en 1972 et formé à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris naît « sur le terrain » (des chutes du Venezuela à la bibliothèque de Sarcelles), où s’amorce un processus pouvant mener à cinq années de travail.

Cette œuvre laborieuse ne dit pourtant rien de ce qui la précède ; elle se dévoile simplement à une cadence réduite, défiant le règne généralisé de l’hyper productivisme. « Recréer de la lenteur », propose ainsi l’artiste à travers son dessin. Au cœur de sa pratique, ce dernier est le prolongement de la photographie – qui lui sert de modèle – ou son double inversé, son négatif. Pour une heure de prises de vues sur les lieux d’un incendie, suivront trois ans passés dans l’atelier sur la réalisation des cent quarante dessins composant Mélanophila.

Cette distorsion temporelle est le ressort poétique de l’œuvre. Loin de la production numérisée, ses Surplombs, variations d’une chute d’eau où la mine de plomb est maniée avec une dextérité et une patience anachronique, appellent la pure contemplation.


Thomas Müller
Il n’y a pas de « style Thomas Müller », atteste l’intéressé. La feuille peut être de petit ou de très grand format, saturée ou laissée presque blanche ; le trait fin peut être exécuté au stylo Bic ou sembler grossier quand il s’agit d’une coulure d’encre. Qualifier l’œuvre d’« anarchique » serait encore une fausse piste ; elle est régie en sourdine par un tout dont l’accrochage, pris en charge par l’artiste, semble livrer d’homéopathiques indices.

En 2009, l’exposition « Gezeiten » (gal. Vidal-Saint Phalle, Paris) traduisait dans l’alternance des pleins et des vides, la variation des formats et des techniques ou le mouvement naturel du ressac un va-et-vient immuable auquel Müller compare son travail, une « œuvre cyclique » selon ses propres termes.  Né à Francfort-sur-le-Main (Allemagne) en 1957, ce peintre abreuvé de philosophie orientale range ses pinceaux à la fin des années 1990 pour s’adonner au dessin comme on s’impose un style de vie : quotidiennement, respectant des normes établies.

Cette œuvre, définie comme un éternel recommencement, semble stimulée par une quête heuristique, une exploration insatiable du médium lors de laquelle elle prend des risques ; dans l’acte répétitif, elle est imprévisible.

Catharina Van Eetvelde
Le trait précis de l’artiste belge née en 1967 et installée à Paris déploie un univers sensible, voire onirique, où les formes abstraites, mécaniques et anthropomorphes se déduisent les unes des autres dans un jeu de métamorphose, non loin du cadavre exquis surréaliste.

Concernée par les liens entre le langage et le dessin, Catharina Van Eetvelde travaille à un ensemble signifiant, un rébus énigmatique. Le film d’animation est le milieu naturel de ses dessins, comme pour Cruise (2005) ou Glu (2007), où l’hybridité des corps procède de divers branchements électriques et organiques, division et fusion cellulaire, construction et affaissement des lignes.

Sur format A4 de préférence – ainsi Erg (2010) –, le dessin évoque ses applications scientifiques (figure mathématique), conceptuelles (architecture) ou cognitives (géographie, anatomie) tout en se laissant guider par la pensée subjective. L’air de rien, l’artiste pointe ainsi la valeur stratégique de son médium mis au service des systèmes normatifs de représentation du monde. Son trait fragile et aléatoire, résolument antidogmatique, y résiste ardemment.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°321 du 19 mars 2010, avec le titre suivant : Le parfum de la nouveauté

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