L’élite en ses décors

Antiquité

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2010 - 528 mots

Un ouvrage savant interprète les luxueux décors des villas romaines à l’aune des textes antiques.

S’ils font aisément référence à des auteurs comme Vitruve et Pline l’Ancien, qui traitent directement de peinture, les spécialistes de l’art romain ne sont pas toujours familiers des textes antiques. Tel est le postulat de Gilles Sauron, professeur d’archéologie romaine à l’université Paris-IV. Il s’y appuie dans son dernier ouvrage consacré aux décors privés des Romains, et inutilement affublé du sous-titre « Dans l’intimité des maîtres du monde ».

Grâce à une érudition sans faille soutenue par une grande qualité iconographique, l’auteur propose une relecture de quelques-uns des plus célèbres décors de Pompéi, Herculanum, Rome ou Sperlonga, dont la beauté formelle a souvent occulté l’exégèse. Gilles Sauron plaide au contraire pour une analyse érudite de ces décors d’un luxe inouï, conçus à la demande de commanditaires riches et cultivés. Pour cela, il faut accepter de déchiffrer un certain nombre d’énigmes savantes et d’allégories ardues, pétries de références philosophiques, littéraires ou astrologiques.

Attrait pour l’interprétation
En préambule, Gilles Sauron émet quelques hypothèses apéritives. La célèbre maison du Faune à Pompéi, et son extraordinaire ensemble de mosaïques, n’aurait-elle pu être le fruit de la commande d’un notable samnite (une ancienne tribu italique) ayant fait campagne aux côtés de Paul-Émile contre Persée, le dernier roi de macédoine, à Pydna (168 av. J.-C.) ? La mosaïque de La Victoire d’Alexandre aurait ainsi pu être déposée du palais de Persée à Pella et transportée à Pompéi… La proposition reste ici à l’état de suggestion. Son texte se fait toutefois plus affirmatif lorsqu’il s’agit de souligner les nombreuses références à un auteur épicurien, Philodème de Gadara, évoquées dans le décor sculpté constitué de quatre-vingt-sept figures en bronze et marbre de la villa des Papyrus à Herculanum.

Les textes de Philodème de Gadara figuraient en effet parmi les quelque deux mille rouleaux de la bibliothèque de la villa exhumés sous les cendres du Vésuve. La démonstration vaut ensuite pour l’influence de l’astrologie dans les décors de la résidence de Tibère, à Sperlonga, ou encore l’empreinte des poésies d’Ovide à la maison des Vetti, à Pompéi.

Pour Gilles Sauron, l’art romain était donc tout sauf gratuit ; il était conditionné à la structure même du regard des Romains, un regard façonné par la notion de certitude, soit tout ce qui est connu sans laisser place au doute.

« Cette conception de la certitude imposait au regard romain d’identifier les images dans un sens toujours très précis », écrit Gilles Sauron. « Tout est certain c’est-à-dire identifiable », en dépit de la formation d’allégories très complexes, résolues grâce à un attrait prononcé des Romains pour l’interprétation. Ces habitudes mentales, combinées à un goût pour la contemplation, auraient donc été à l’origine de la création de ces somptueux décors réservés à une élite.

« Nous sommes loin des conceptions étriquées auxquelles certains voudraient réduire les décors privés des Romains, caricaturés sous forme de dérivatifs aux pressions d’une propagande envahissant les espaces publics », conclut Gilles Sauron.

Gilles Sauron, LES DÉCORS PRIVÉS DES ROMAINS. DANS L’INTIMITÉ DES MAÎTRES DU MONDE, éd. Picard, collection « Antiqua », 304 p., 230 ill., 90 euros, ISBN 978-2-7084-0837-1.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°321 du 19 mars 2010, avec le titre suivant : L’élite en ses décors

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