« Interpréter poétiquement l’idée d’enfermement »

PAROLES D’ARTISTE: Loris Cecchini

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2010 - 730 mots

C’est presque une rétrospective que consacre le Musée d’art moderne Saint-Etienne Métropole à Loris Cecchini, artiste né en 1969 qui vit et travaille à Milan. Avec un regroupement d’œuvres s’étendant de 1996 à 2009, son traitement singulier de l’objet et des espaces à vivre promeut une réalité toujours sur le fil, à forte potentialité narrative.

Votre exposition à Saint-Etienne montre une grande diversité d’œuvres et de médiums (sculptures, photographies, collages, maquettes, modules d’habitation…). A-t-elle été conçue telle une rétrospective ou comme un scénario racontant une histoire ?
Cette exposition est une anthologie née d’une collaboration entre le musée et le Centro per l’arte contemporanea Luigi-Pecci de Prato, en Italie.

La possibilité de montrer simultanément un tel nombre d’œuvres et de projets m’a permis d’occuper les espaces sans souci chronologique, mais en tentant d’illustrer les différents processus, thèmes et techniques de mon travail, en les plaçant sur un même plan. Je crois que l’exposition traduit assez bien une vision faite à la fois de poésie et de technique, de nature et d’artifice, et devient en effet une narration. Le titre « DOTSANDLOOPS » est très sonore et, d’une manière ou d’une autre, signale les « points et les boucles » présents dans mon mode de travail.

Beaucoup de vos œuvres montrent un très fort intérêt pour l’espace privé. Pourquoi est-ce si important pour vous ?
La boîte architecturale et l’espace privé sont en effet l’un de mes principaux sujets de recherche et de travail. Je tente d’interpréter poétiquement l’idée d’enfermement et d’espace en tant que lieu privé, en y pensant comme à une forme de distance entre le monde et nous.

Cet espace prend souvent la forme d’un récipient, et par là même devient architecture. L’idée d’architecture demeure, même si elle est presque toujours pensée dans un lien très fort à la sculpture, qui l’éloigne de la fonctionnalité et de l’utilité. Dans ce sens, ce qui m’intéresse est de faire une sculpture praticable, en jouant avec l’idée de déstructuration, de distorsion morphologique ou de fragmentation.

L’espace représenté est alors sujet à une interprétation psychologique et les matériaux qui constituent mes œuvres sont la traduction psychologique de quelque chose.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans les boucles et la distorsion des formes ?
La distorsion, les changements structurels ou biologiques appartiennent à la nature ; tout est destiné à changer dans cette forme de vitalité. J’essaye d’encourager ce mouvement des objets, qui apparaît plus évident dans certains travaux. Au stade du projet, les morphologies naturelles des plantes et des organismes sont souvent un point de départ afin de reformuler les choses. Peut-être l’idée est-elle de rechercher une mesure continuelle qui ne puisse jamais être définie mais qui soit en changement constant. La courbe est une frontière toujours en mouvement.

Vous intéressez-vous à l’idée de créer des mondes nouveaux, d’autres modes de vie, de nouveaux usages, ou souhaitez-vous seulement laisser l’esprit développer des possibles tout en sachant qu’ils ne seront jamais réels ?
Mon approche est exactement duelle : je suis attiré par l’idée de concevoir des mondes possibles, et en même temps je réagis au monde de l’image en répondant par les miennes. Je suis très intéressé par la dimension utopique qui lie nature et technologie. Et je tente d’interpréter un paysage culturel fait de différentes « réalités » en travaillant sur une perception diffuse composée de virtuel et de matière ; en ce sens j’essaye de créer un pont. Naturellement, mon travail ouvre tout cela aux vagabondages de l’esprit des spectateurs.

Comment envisagez-vous la relation entre le rêve, l’imagination et la réalité ? Par exemple, vos caravanes à échelle humaine (Monologue Patterns, 2004-2007) sont-elles des espaces pour vivre ou pour rêver ?
Je tente toujours d’amener un élément sur le plan du rêve et de l’imagination, par exemple en travaillant des familles de maquettes. Dans le cas des caravanes, elles sont identifiées comme telles seulement parce qu’elles sont de petites structures montées sur roues, accessibles au public d’une manière ou d’une autre.

Elles se répercutent telle une forme d’espace incluse dans un autre espace. J’aime que mes œuvres parviennent à être des stimuli pour l’imaginaire ; de cette manière, elles deviennent des espaces rêvés pour vivre activement votre propre imagination.

LORIS CECCHINI. DOTSANDLOOPS, jusqu’au 18 avril, Musée d’art moderne Saint-Étienne Métropole, La Terrasse, 42000 Saint-Étienne, tél. 04 77 79 52 52, www.mam-st-etienne.fr, tlj sauf mardi 10h-18h. Catalogue, éd. Skira, 2009, 288 p., 35 euros, ISBN 978-8-85720-291-4.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°321 du 19 mars 2010, avec le titre suivant : « Interpréter poétiquement l’idée d’enfermement »

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