Un Greco en demi-teinte

Peinture

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2010 - 571 mots

L’exposition du Palais des beaux-arts de Bruxelles ne rend pas justice à l’artiste.

BRUXELLES - Lorsque le Palais des beaux-arts de Bruxelles a annoncé la tenue d’une exposition consacrée au Greco (1541-1614) six ans seulement après la magistrale rétrospective organisée par le Metropolitan Museum of Art de New York et la National Gallery de Londres, les attentes étaient fortes. La déception est donc d’autant plus grande au vu du résultat, et ce, dès les premiers espaces où ne sont présentées que des copies.

Ces œuvres, parfois mauvaises, donnent le ton d’un parcours confus aggravé par un éclairage déplorable qui oblige à regarder les tableaux de biais. À la limite, il faudrait commencer sa visite par la dernière salle, la seule qui permette de mesurer l’étendue du génie du Greco. S’y trouve réunie la série complète El Apostalado (L’Apostolat, ensemble composé des douze apôtres entourant le Christ) exécutée entre 1610 et 1614. Il n’en existe à ce jour que trois versions, et celle prêtée par Tolède, en Espagne, est la plus authentique car entièrement autographe.

À l’exception des figures du Sauveur, de Saint Paul et de Saint Pierre, les toiles sont inachevées, laissant deviner la manière dont le maître procédait pour aboutir à ses figures hallucinées.

Comme l’explique dans le catalogue José Redondo Cuesta, commissaire de l’exposition, les toiles correspondent à différents stades d’exécution : Saint Barthélemy témoigne d’une première ébauche exécutée à la grisaille, laissant visibles les coups de pinceaux et cet « instant unique et fugace de la création jubilatoire ». Puis, Saint Matthieu, Saint André et Saint Jude Thaddée représentent l’étape suivante, avec un premier glacis dilué de couleurs, appliqué de manière plus ou moins dense pour suggérer volumes et zones d’ombre. Les trois saints suivants, Saint Jean l’Évangéliste, Saint Jacques le Mineur et Saint Philippe, sont plus aboutis, tandis que Saint Thomas, personnage d’une grande prestance, semble quasiment achevé.

Aperçu fugace
Dans un premier chapitre, les commissaires ont tenté d’évoquer la redécouverte du peintre d’origine crétoise au début du XXe siècle, à travers les figures de Manuel Bartolomé Cossío, auteur de la première monographie sur l’artiste en 1908, et du marquis de Vega Inclán. Collectionneur et marchand, ce dernier est à l’origine du Musée du Greco ouvert en 1910 à Tolède, actuellement fermé pour travaux, d’où proviennent la majorité des œuvres rassemblées à Bruxelles. La démonstration est peu probante, d’autant plus que les cartels, à force de vulgarisation, tombent dans des raccourcis primaires, n’hésitant pas à parler du Greco comme du précurseur de l’expressionnisme allemand ou du cubisme.

Ne reste plus que l’audioguide pour tenter de suivre le fil conducteur de cet accrochage où émergent, au milieu de copies, tableaux de suiveurs et d’artistes contemporains du Greco, un Saint Sébastien (v. 1610) démembré, ou le Portrait de Diego de Covarrubias. Signalons la présence du Christ dépouillé de ses vêtements (v. 1577) exécuté par le Greco avec son atelier, du Voile de Véronique (v. 1580), des deux tondi L’Annonciation et La Nativité (1605) et, surtout, du Triomphe du nom de Jésus ou Allégorie de la Sainte Ligue (v. 1577). Composition visionnaire probablement peinte pour Philippe II, la toile offre un aperçu fugace de cet œuvre si singulier, auquel la présente manifestation rend un piètre hommage.

EL GRECO, jusqu’au 9 mai, Palais des beaux-arts, 10, rue Royale, 1000 Bruxelles, tél. 32 2 508 82 00, www.bozar.be, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-21h. Catalogue, éd. BAI, 200 p., 35 euros, ISBN 978-9-0858-6562-9

EL GRECO
Commissaires : Ana Carmen LavÁ­n Berdonces et José Redondo Cuesta
Nombre d’œuvres : 40

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°321 du 19 mars 2010, avec le titre suivant : Un Greco en demi-teinte

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