Les Nouveaux Mondes de Boetti et Bouabré

Dialogue entre l’Italien et l’Ivoirien à l’American Center

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 1995 - 455 mots

Les affinités entre les œuvres de Boetti et de Bruly Bouabré sont assez nombreuses et subtiles pour faire l’objet d’une confrontation particulièrement réussie à l’American Center. De Rome à Abidjan, la distance est moins grande qu’on ne pourrait le croire.

PARIS - Présentée au Dia Center for the Arts de New York l’hiver dernier, l’exposition Boetti et Bruly Bouabré peut être perçue comme le meilleur écho possible à l’exposition des "Magiciens de la terre", à laquelle ils avaient d’ailleurs participé. La démagogie latente qui préside parfois aux confrontations d’art occidental et d’art du tiersmonde est ici absente. Mieux : elle est empêchée par la mise en scène discrète mais efficace des relations qui unissent les œuvres de l’un, protagoniste de l’Art pauvre, et de l’autre, qui est l’un des artistes africains les plus intrigants.

Boetti et Bouabré, écrit Lynne Cooke, commissaire de l’exposition avec André Magnin, sont tous deux des "cosmographes qui éprouvent une curiosité encyclopédique pour le monde, et une fascination pour les systèmes, les codes et les schémas grâce auxquels le savoir est enregistré et classifié". Mais ces cosmographies sont empreintes d’une forte dose d’ironie et d’humour, quand elles ne jouent pas de l’absurdité inhérente à la société comme à la nature.

Les images de l’Ivoirien, entourées d’une bordure de texte, où le monde semble à la fois venir finir et recommencer, jouent d’une fausse naïveté avec une liberté et une intelligence remarquables. D’autant plus que le langage visuel qu’emploie Bouabré n’est tributaire ni des conventions occidentales ni d’un quelconque exotisme.

On pourrait en dire autant de Boetti, qui, jusqu’à sa mort en 1994, n’a cessé d’inventer des processus de métamorphoses avec un détachement et un brio qui firent de lui le plus atypique des artistes italiens de la période. L’évidence du mot et de l’image est contrainte à de multiples détours, à des renversements qui la font disparaître et réapparaître. L’ordre et le désordre coexistent dans un même moment : ce paradoxe, pourtant, ne fait l’objet de la moindre tentative de résolution. Il s’agit au contraire d’en tirer le meilleur parti et de restituer au jeu toute sa profondeur.

Les rapprochements entre les deux artistes, qui passent parfois par de surprenantes rencontres iconographiques ou formelles, n’ont rien de superficiel. Un même sentiment d’étrangeté, un même bonheur à manipuler les données du monde visible et du monde des idées, une même aptitude à l’incrédulité font d’eux un singulier binome d’artistes. On ne demande qu’à en découvrir d’autres, aussi convaincants, aussi pertinents – à la hauteur de ce duo Boetti-Bouabré.

MONDES : ALIGHIERO E BOETTI ET FRÉDÉRIC BRULY BOUABRÉ, American Center, 51, rue de Bercy, jusqu’au 28 janvier. Ouvert du mercredi au samedi de 12h à 20h, et le dimanche de 12h à 18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°18 du 1 octobre 1995, avec le titre suivant : Les Nouveaux Mondes de Boetti et Bouabré

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