La célébration de Paul Cézanne et après…

Le futur incertain des grandes expositions du Grand Palais

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 1995 - 1041 mots

PARIS - Jusqu’à présent, Cézanne avait été envisagé sous certains aspects spécifiques de sa production, en termes chronologiques surtout, mais aussi thématiques. "Depuis une dizaine d’années, commente Françoise Cachin, on assiste, un peu partout, à – si j’ose dire – un saucissonnage de l’art de Cézanne.

"1 Il est peu probable, et les organisateurs n’en ont d’ailleurs pas l’ambition, que de cette exposition, qui en quelque sorte recolle les morceaux, surgisse un "nouveau" Cézanne, ou qu’elle suscite une lecture révolutionnaire. "L’exposition permet simplement de suivre, dans sa richesse et sa complexité, l’évolution de cette œuvre, sans privilégier aucune période ni aucun thème", reconnaissent-ils.

Pour Joseph J. Rishel, commissaire de l’exposition à Philadelphie, une nouvelle image de l’artiste pourrait cependant émerger. Souhaitons que ce ne soit pas l’image atone et glacée que le consensus obtenu par voie médiatique donne aux grandes œuvres. Les incessantes études cézanniennes ont largement balayé le terrain scientifique, sans laisser de vraies zones d’ombre aux aventuriers de l’histoire de l’art. Et le déluge de livres qui accompagne la présentation au Grand Palais de cet automne n’y changera sans doute rien (voir notre article page 16).

Pas d’exposition "mammouth"
C’est à Nicholas Serota, directeur de la Tate Gallery, que revient l’initiative de cet hommage à laquelle Françoise Cachin, alors directeur du Musée d’Orsay, avait immédiatement donné suite. Fait inhabituel, c’est donc la Tate et non la Royal Academy qui accueillera Cézanne (du 7 février au 28 avril 1996), avant la troisième et dernière exposition au Philadelphia Mu­seum of Art (du 25 mai au 18 août). La collaboration de ces trois prestigieux musées assure la venue d’un nombre conséquent d’œuvres : 109 tableaux, 42 aquarelles et 26 dessins. Francoise Cachin précise toutefois qu’il ne s’agira pas, selon l’expression consacrée, d’une exposition "mammouth".

Deux des trois grandes versions (de Londres et Philadelphie) des Grandes baigneuses seront à nouveau réunies (elles l’avaient été à l’Orangerie en 1936), et cela seul suffira à donner tout son éclat, sinon sa justification, à l’actuelle rétrospective. Cependant, selon le parcours chronologique retenu (cinq sections correspondant aux cinq décennies de la vie créatrice de l’artiste de 1860 à 1900), l’accrochage évitera de mettre l’accent sur les séries.

Une grande salle réunira les aquarelles et les dessins. On ne saurait craindre une quelconque déception au cours de la visite, puisque du Getty à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, en passant par de nombreuses collections particulières, aucune œuvre majeure, hormis celles qui appartiennent à la Fondation Barnes, n’aura été écartée du voyage à Paris.

Mobiliser le public
Pour le grand public, Cézanne est un impressionniste à part entière, bien plus qu’il n’est le père de la peinture moderne. Et il est à ce titre le dernier des grands "rassembleurs", puisqu’on ne saurait espérer de Corot, prévu pour l’an prochain, et encore moins de Proud’hon, prévu pour 1997, qu’ils suscitent la même ferveur. Les expositions Moreau ou Signac, qui sont envisagées pour 1998, ne seront pas plus comparables à cet emballement cézannien.

C’est donc le futur de ce type de grandes expositions qui est désormais incertain, puisque Cézanne est le dernier compagnon des impressionnistes à n’en avoir pas encore bénéficié. Manet, Monet, Renoir, Pissarro, Sisley, Degas, Bazille, Caillebotte, Whistler en furent honorés ces dernières années, avec le succès que l’on sait. L’Impressionnisme est une valeur sûre, qui rencontre à chaque occasion un public nombreux, comme en ont témoigné récemment la présentation de la collection Barnes à Orsay ou les "Origines de l’Impressionnisme" au Grand Palais.

On pourrait discuter sans fin des raisons qui poussent aux portes du Grand Palais des foules considérables dès qu’il s’agit d’Impression­nisme, et commenter les statistiques qui alimentent les études sociologiques. Si ce mouvement porte en lui les germes d’un art moderne qui ne jouit pas des mêmes faveurs, loin s’en faut, il propose une vision du monde sereine et rassurante, d’où les excès et les audaces qui faisaient hurler les chroniqueurs du xixe siècle ont miraculeusement disparu.

Les plages, les jardins, les paysages bucoliques, les jeunes filles en fleurs se sont imposés dans une iconographie qui, sous le pinceau de Manet ou de Degas, comme chez Cézanne, est loin d’être aussi uniment angélique. En un mot, la preuve est une nouvelle fois faite que, là comme ailleurs, les malentendus profitent à l’audimat.

Rétrospective Paul Cézanne, Galeries nationales du Grand Palais, jusqu’au 7 janvier. Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 10h à 20h. Nocturne le mercredi jusqu’à 22h.

"Un être mythique sans existence positive"
(Émile Bernard, Conversations avec Cézanne)

1839 Naissance de Paul Cézanne à Aix-en-Provence. Son père, Louis-Auguste, est négociant en chapeaux de feutre.
1852-1858 Le jeune Cézanne se lie d’amitié avec Émile Zola au collège.
1857 Premières leçons de dessins.
1861 Abandonne ses études de droit, séjourne pour la première fois à Paris, où il rencontre Pissarro à l’Académie Suisse. Il entre dans la banque fondée par son père en 1848 et la quitte l’année suivante.
1863 Séjour parisien. Expose pour la première fois au Salon des refusés. Obtient l’autorisation de peindre des copies au Louvre.
1864-69 Allers-retours entre Aix et Paris, où il essuie des refus au Salon. Rencontre Manet et reçoit à plusieurs occasions le soutien sans faille de Zola. Rencontre son compatriote Adolphe Monticelli au café Guerbois.
1870 Cézanne peint à Aix, puis à l’Estaque où il vit avec Hortense Fiquet, surnommée "la Boule".
1872 Naissance de Paul Cézanne junior, dit "le Boulet". Se joint à Manet, Pissarro, Renoir et quarante-cinq autres pétionnaires pour réclamer un lieu d’exposition pour les "refusés". S’installe à Auvers-sur-Oise.
1874 Présente trois tableaux à la première exposition impressionniste.
1877 Participe à la troisième exposition impressionniste avec des natures mortes et le portrait de Victor Choquet.
1882 Expose au Salon, confie son testament à Zola.
1886 Publication de L’Œuvre et brouille avec l’écrivain.
1890 À Aix, il commence la série des Joueurs de cartes. Premières souffrances dues au diabète.
1891 Devient catholique pratiquant.
1894 Vollard achète des toiles de Cézanne lors de la dispersion de la collection du père Tanguy.
1895 Première exposition personnelle chez Vollard.
1899 Nouvelle exposition chez Vollard et achats massifs de Durand-Ruel.
1902 S’installe dans son nouvel atelier des Lauves. Mort d’Émile Zola. Pissarro meurt l’année suivante.
1904 Commence une correspondance avec Émile Bernard. Deuxième exposition à Berlin.
1906 Meurt à Aix le 23 octobre.

Un Prix Cézanne

Le groupe LVMH, mécène de la rétrospective du Grand Palais, a lancé un Prix des jeunes créateurs autour de l’œuvre de Cézanne. Réservé aux étudiants de deuxième cycle des écoles d’art, il a pour thème "natures mortes et fruits". Déjà 50 écoles d’art françaises participent au prix, mais également 15 américaines, et 11 européennes. Cinq prix seront décernés en décembre. Les lauréats recevront une bourse d’étude d’une valeur de 25 000 francs pour un séjour de deux à trois mois dans une école d’art étrangère. Le groupe LVMH avait organisé l’an dernier un prix similaire à l’occasion de la rétrospective Poussin, dont il était également le mécène. Renseignements : tél (1) 47 21 37 77.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°18 du 1 octobre 1995, avec le titre suivant : La célébration de Paul Cézanne et après…

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