Fresques en détails

Michel-Ange plus vrai que nature

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 décembre 1995 - 679 mots

L’art de la fresque se prête particulièrement aux éditions luxueuses, comme celle consacrée au Jugement dernier par Citadelles, ou plus modestes, comme les trois volumes publiés par les éditions Hazan. Tout est, dans ce domaine, question de détail…

Les éditions Citadelles-Mazenod avaient publié l’an passé deux volumes sur les fresques de la voûte restaurée de la Chapelle Sixtine. La récidive, concernant cette fois le Jugement dernier, était attendue. Inaugurée par Jean-Paul II en avril 1994, la restauration de la fresque a donné lieu à une semblable campagne photographique, qui parachève le processus de restitution optimale de la visibilité de l’œuvre de Michel-Ange et donne à la chapelle entière un lustre qu’elle avait perdu. S

Sous la direction de Gianluigi Colalucci, le bien nommé, la restauration a débuté en 1989, suscitant d’interminables polémiques sur la nécessité et sur la conduite même d’une telle entreprise. Quoi qu’il en soit des termes du débat, et puisque l’œuvre titanesque de Michel-Ange offre désormais ce visage éclatant, on doit pouvoir maintenant la considérer sans arrière-pensées, sans négocier son plaisir de voir dans toute sa lumière l’un des tout premiers chefs-d’œuvre du génie de la peinture.

Moins vicieuse
Les fresques de la Sixtine, et tout spécialement ce Jugement, n’ont rien perdu, quatre cent cinquante ans après leur achèvement, de leur inquiétante étrangeté et de leur pouvoir subversif. On sait les hésitations de celui qui se considérait avant tout comme un sculpteur à accepter la charge de ce chantier, les innombrables conflits qu’il affronta au sein même du Vatican, les critiques virulentes et les menaces dont il fit l’objet. Le caractère dantesque de la composition, sa force morale d’autant plus grande qu’elle est libre de toute précaution iconographique et de toute fausse pudeur, la complexité du message mystique restituée avec conviction, ont valu à son auteur mille accusations.

"C’est à un établissement de bains et non au chœur d’un lieu sacré que convient votre œuvre, écrivait ainsi l’Arétin. Là elle serait moins vicieuse, car vous n’imagineriez pas, de cette façon, altérer la croyance des autres." L’aveuglement des commentateurs ne triompha pas entièrement du génie, même si le malheureux Daniel da Volterra accepta des travaux de censure sur les parties jugées les plus obscènes, que la restauration n’a pas pu effacer tout à fait.

Monumental, l’ouvrage de Pierluigi de Vecchi est techniquement irréprochable et donne la persuasive illusion de tout voir. Les innombrables détails sont toujours mis en relation avec un plan plus large et accompagnés de légendes précises, de sorte que l’on n’a jamais le sentiment de s’égarer dans la multitude des figures. En découvrant ce livre, l’Arétin ne nuancerait sans doute pas son propos ; nul doute qu’il en accuserait au contraire les accents vengeurs puisque la reproduction photographique supprime la distance imposée par le lieu. Elle en instaure certainement une autre, avec laquelle notre siècle s’est habitué à compter, mais la photographie reste inapte, et c’est heureux, à atténuer la violence de l’imagination si précise de Michel-Ange.

La Scuola San Rocco
Autre chef-d’œuvre, la Scuola San Rocco, dont les trois étages furent transfigurés par le Tintoret qui, s’il n’eût pas l’occasion de contempler de visu la Sixtine, en médita cependant la leçon à travers des dessins et des gravures. Dans la salle de l’Auberge, saint Roch en gloire est entouré des scènes allégoriques et de scènes de la Crucifixion, tandis que dans la salle supérieure et dans celle du rez-de-chaussée, se croisent des thèmes de l’Ancien et du Nouveau Testament.

Cet ensemble, qui constitue le sommet de l’art du Tintoret, ne suscita pas moins d’affrontements que la création de Michel-Ange. Le programme iconographique auquel répond San Rocco est à la fois précisément fixé et demeure d’une grande difficulté de lecture, que la mise en page et la rareté des légendes de cet ouvrage ne contribuent pas à amoindrir.
Dans un coffret (le second du genre) comprenant trois albums, les éditions Hazan s’intéressent à Lorenzetti, Mantegna et Piero della Francesca.

Pierluigi de Vecchi et Gianluigi Colalucci, Michel-Ange, le Jugement dernier, Citadelles-Mazenod, 264 p., 2 900 F jusqu’au 31 décembre, 3 400 F à partir du 1er janvier.

Sous la direction de Giandomenico Romanelli, La Scuola Grande di San Rocco, Gallimard-Electa, 400 p., 550 F. jusqu’au 31 décembre, 650 F à partir du 1er janvier.
Randolph Starn, Keith Christiansen et Marylin Aronberg Lavin, Lorenzetti, Mantegna, Piero della Francesca, Hazan, trois volumes de 104 pages chacun, 395 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°20 du 1 décembre 1995, avec le titre suivant : Fresques en détails

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