Le mois vu par Yves-Marie Marchand

Gérant des éditions Marval

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 décembre 1995 - 842 mots

Après avoir élargi à l’art contemporain la maison d’édition cofondée par son père – il est fier d’avoir publié le premier ouvrage en français sur Beuys –, Yves-Marie Marchand a décidé, en 1988, de consacrer Marval à la photographie d’aujourd’hui. Son amitié avec le photographe Bernard Plossu a été déterminante dans cette orientation. Âgé de 49 ans, il a publié près de quarante livres cette année et est quasiment le seul éditeur français dans ce domaine. Il commente l’actualité du mois.

Décembre est un mois clé pour les ventes de "beaux livres". Quelle place occupe l’édition photographique dans ce marché ?
Dans cette période de fêtes, de cadeaux, les livres de photographie plus importants et plus chers se vendent également mieux. Marval réalise environ la moitié de son chiffre d’affaires pendant les mois d’octobre à décembre, mais certains éditeurs de beaux livres font jusqu’à 70 % de leur chiffre d’affaires pendant cette période. Notre situation est donc originale. Par ailleurs, j’observe qu’en France, les ventes de livres de photographie se font à travers le circuit traditionnel des librairies et très peu sur les lieux d’exposition, contrairement à l’Espagne, par exemple.

Mais le marché est petit pour le livre de stricte photographie. Un ouvrage strictement photographique, sans sujet particulier, avec uniquement des images, concerne aujourd’hui 700 à 800 acheteurs seulement. Ce petit marché est heureusement en constante augmentation puisqu’il y a quelque temps, il s’agissait de moins de 500 acheteurs. Il est donc nécessaire de trouver un sujet fort pour intéresser un plus grand nombre, car de tels livres coûtent très cher à réaliser. Il est clair que le New York de William Klein ou W. ou l’œil d’un long nez de Patrick Zachmann concernent un plus large public.

C’est en réaction contre ce "petit marché" que vous avez créé un Groupement d’Éditeurs Européens en Photographie, le GEEP ?
Nous sommes six dans ce groupement, tous dans la mouvance d’une photographie contemporaine que je qualifierais de difficile. Nous nous montrons nos projets respectifs, et nous passons des accords pour parvenir à un tirage suffisant afin que le livre reste à un prix abordable.

Le meilleur exemple est le Rives de Dolorès Marat, un livre que j’avais en projet depuis cinq ans et que je viens de publier. Il y avait une impossibilité financière à sortir l’ouvrage, à trouver un sponsor. Un accord entre trois membres du groupement a permis de sortir de ce blocage.

L’exposition consacrée aux collectionneurs privés d’art moderne et contemporain, qui s’ouvre ce mois-ci au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, ne présente pas de collections photographiques. Qu’en pensez-vous ?
C’est sans doute le choix du commissaire de l’exposition. Il y a pourtant, en France, de grandes collections de photographie. Je ne citerai que celle de Roger Thérond, qui est prodigieuse, et celle de Bernard Lamarche-Vadel, qui est essentielle pour la photographie contemporaine.

Doisneau, Sander, Weston… Quelle exposition recommanderiez-vous ?
Évidemment Weston, que j’ai vue et qui est magnifique, et Sander que je vais aller voir. Je suis désolé de dire que je n’irai pas voir celle de Doisneau. Doisneau était un très grand photographe, mais on a trop tendance à montrer le côté nostalgique, à présenter des images battues et rebattues. Les éditeurs ont coupé l’œuvre en tranches fines d’Auvergnat, les plus fines possible pour sortir le plus de livres possible. C’est une horreur !

Et "Féminin-masculin, le sexe de l’art" au Centre Pompidou ?
Je n’irai pas la voir non plus. J’ai le catalogue et j’ai l’impression que l’exposition est un gigantesque fourre-tout, avec des pièces d’artistes reconnus qui n’ont pas l’air d’être toujours des œuvres majeures. En littérature, je n’aime pas l’anthologie ou le recueil de nouvelles avec quinze auteurs différents.

Cela ne m’apprend rien. Parcourir une telle exposition, où a priori une sélection suffisante dans la qualité n’a pas été opérée, ne m’intéresse pas, sauf à y passer trois jours. En revanche, le catalogue est passionnant, et je peux y faire mon propre parcours…

Comment voyez vous le marché de la photographie ?
Le marché n’a pas l’air d’être en très bonne santé, même si certains grands noms se vendent à des prix ahurissants. Les galeries souffrent, elles survivent souvent grâce à la photographie ancienne.

La question du tirage original, de la multiplicité des tirages revient périodiquement jeter un doute sur ce marché.
Je suis tout à fait opposé à cette manière de penser selon laquelle les tirages doivent être limités. Certaines photographies très importantes ont été tirées à plus de cent exemplaires, et leur cote tient quand même parce que tout le monde veut les posséder et qu’elles sont de très grandes photographies. D’autres, du même auteur, auraient pu être limitées à deux tirages, elles ne se seraient jamais vendues.

La photographie est un médium destiné à être multiplié : si une photographie est exceptionnelle, pourquoi ne pas en faire vingt ou trente tirages, tirages contrôlés par les artistes bien sûr ? Si on veut que les gens se décident à acheter de la photographie, il faut leur faire passer ce message, d’une œuvre originale et multiple.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°20 du 1 décembre 1995, avec le titre suivant : Le mois vu par Yves-Marie Marchand

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