Architecture

Enquête

Le quadrilatère Richelieu en débat

Destinée à mettre en sécurité le site, la rénovation du quadrilatère Richelieu ne fait pas l’unanimité

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 2 mars 2010 - 1014 mots

PARIS

Attendus depuis longtemps, les travaux de rénovation du site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France (BNF), à Paris, créent la polémique. Des défenseurs du patrimoine s’insurgent contre la destruction d’un escalier du XIXe siècle, inscrit à l’inventaire des Monuments historiques, et sur la remise en question du cabinet des médailles et antiques.

PARIS - Attendue depuis des années, lancée à l’été 2007 avec la désignation de l’architecte Bruno Gaudin comme maître d’œuvre, la rénovation du site Richelieu, ou quadrilatère Richelieu, de la Bibliothèque nationale de France (BNF), à Paris, a pris des allures de grands travaux dont certains choix ne font pas l’unanimité chez les spécialistes de l’architecture et du patrimoine. L’opération est urgente, car elle doit remédier aux conditions de conservation catastrophiques des collections, avec une mise aux normes des installations techniques. Elle offre aussi l’occasion de restaurer les parties historiques sous la houlette de Jean-François Lagneau, architecte en chef des Monuments historiques. Il s’agit, enfin, de revoir l’organisation des espaces autour des départements spécialisés demeurant sur place (Arts du spectacle, Cartes et plans, Estampes et photographie, Manuscrits, Monnaies, médailles et antiques), après le départ dans les années 1990 des imprimés pour le site François-Mitterrand, parallèlement à l’arrivée des bibliothèques de l’École des chartes et de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA).

Destruction contestée
Le chantier est donc pour le moins complexe, d’autant plus que la construction du quadrilatère Richelieu s’échelonne sur trois siècles, depuis le XVIIe siècle jusqu’au XIXe siècle avec les interventions modernes d’Henri Labrouste. Les travaux, estimés à 150 millions d’euros, doivent s’organiser de 2010 à 2017. Mais, certaines des solutions proposées alarment les défenseurs du patrimoine. Ainsi de la destruction de l’escalier d’honneur construit à la fin du XIXe siècle par l’architecte Jean-Louis Pascal, successeur de Labrouste. Initialement imaginé par ce dernier pour rejoindre la salle des Manuscrits, il permet aujourd’hui d’accéder au cabinet des Médailles et antiques. Massif, déjà dénaturé par l’installation d’ascenseurs, l’escalier n’en est pas moins inscrit à l’inventaire des Monuments historiques depuis 1983. Supprimer un élément censé être protégé remet en cause les principes fondamentaux de protection du patrimoine.

« L’affaire est grave, car c’est à lui-même que le ministre de la Culture octroie une telle capacité de destruction patrimoniale et ce, dans un lieu voué depuis des siècles à la conservation même. Le mauvais exemple vient de haut : il sera immanquablement suivi », regrette l’historien de l’art Jean-Michel Leniaud, directeur d’études à l’École pratique des hautes études et à l’École nationale des chartes (in Livraisons d’histoire de l’architecture, no 18, décembre 2009, p. 5-7). N’hésitant pas à parler de « massacre monumentaire », il s’interroge de manière générale sur les choix opérés : « N’est-il pas paradoxal d’entendre un conservateur du patrimoine vouloir supprimer ce qui existe (l’escalier et la façade de la cour Vivienne) et rétablir ce qui n’est plus ? » Il fait ici allusion à la décision de restituer des décors de Labrouste détruits en partie dans les années 1980 dans le hall d’entrée. Pour l’historien de l’architecture Alexandre Gady, il faut surtout demander une expertise afin de vérifier la présence, dans l’escalier, de remplois d’éléments en fer forgé du XVIIIe siècle. « Il y a effectivement des traces d’éléments Louis XV, ceux-ci seront démontés et conservés », promet Bruno Gaudin.

La Commission du Vieux Paris n’est pas plus tendre avec le projet. Dans sa séance plénière du 3 juin 2009, elle condamne la démolition de l’escalier d’honneur, remplacé par un modèle en métal et verre à la forme hélicoïdale dont elle relève « l’incongruité », et pointe du doigt la création d’une galerie vitrée au-dessus du hall Labrouste qui gâte la vue depuis la salle de lecture.

« Il s’agit d’une galerie imaginée par Labrouste, construite en bois puis rasée, une sorte de clin d’œil historique que nous rendrons peu visible et délicat », tranche Bruno Gaudin. Et d’ajouter : « Se focaliser sur l’escalier ou tel élément isolé n’a pas de sens. Il faut regarder notre démarche dans son ensemble. Tout au long de son histoire, le site Richelieu n’a cessé de se rénover et se remettre en question. Nous avons travaillé sur chaque strate historique. Aujourd’hui, selon les souhaits de la BNF, notre proposition vise à l’ouvrir sur la ville concrètement et symboliquement, à la rendre accessible à de nouveaux publics. »

D’où l’initiative de créer trois grandes portes d’accès rue Vivienne, en prolongeant les fenêtres de la façade édifiées par Pascal, transformation que fustige Jean-Michel Leniaud. « Cela fait trois ans que nous mettons en place une stratégie pour conserver, dans leur intégrité, des éléments comme le magasin Labrouste et ce, malgré des conditions techniques difficiles. Nous préservons les séquences historiques, mais il s’agit de les traverser avec plus d’aisance, pour une certaine unité du lieu, pour que la BNF et l’INHA ainsi réunis puissent se retrouver, se rencontrer », rétorque Bruno Gaudin.

Si l’INHA attend avec impatience de pouvoir s’installer dans la salle Labrouste, côté BNF, rien n’est encore arrêté concernant le réaménagement de certains départements, tel le cabinet des Médailles dont l’avenir demeure flou (lire ci-contre). De même, la salle ovale conçue par Pascal est encore sans affectation. Jacqueline Sanson, directrice générale de la BNF, assure que cet espace de 1 000 m2 sera rendu au public, mais, en coulisse, certains murmurent qu’il est déjà prévu de l’affecter à la location d’espace, pratique de plus en plus courante pour des institutions comme la BNF, sommées par Bercy de trouver de nouvelles sources de revenus.

La politique actuelle de la maison cherche surtout à augmenter la fréquentation. À demi-mot d’ailleurs, Jacqueline Sanson s’insurge à l’idée que le lieu ne soit réservé qu’aux chercheurs. À l’heure où le concept de démocratisation revient dans tous les discours de politique culturelle, consacrer les deniers publics exclusivement à la recherche en histoire de l’art pourrait paraître suspect.

QUADRILATÈRE RICHELIEU

Surface :58 500 m2

Budget prévisionnel : 150 millions d’euros (80 % ministère de la Culture, 20 % ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche)

Architectes : Bruno Gaudin, maître d’œuvre ; Jean-François Lagneau, architecte en chef des Monuments historiques, pour les parties classées

Légende photo

La cour intérieure de la Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, en travaux. © Photo : J.-C. Ballot/BNF/Emoc

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°320 du 5 mars 2010, avec le titre suivant : Le quadrilatère Richelieu en débat

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