Patrimoine immatériel

Profession

Charpentier

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 16 février 2010 - 749 mots

L’Unesco vient de reconnaître l’art du tracé de charpente comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

C’est enfin une reconnaissance pour cette pratique professionnelle ancestrale, affaire de spécialistes, à l’antithèse de l’uniformisation des modes de construction qu’est l’art du tracé de charpente. À l’automne 2009, l’Unesco a accepté le dossier présenté par la France pour inscrire cette tradition française sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Par art du tracé de charpente, il faut entendre « maîtrise en trois dimensions de la conception d’un édifice complexe en bois », selon la terminologie employée par l’Unesco.
 
Soit l’ensemble des procédés graphiques qui permettent, depuis le XIIIe siècle, la réalisation des épures (ou croquis à grande échelle) à partir desquelles sont ensuite taillées puis assemblées les pièces de charpente nécessaires à la construction de l’ossature des coupoles, voûtes, clochetons, passerelles et autres ouvrages en bois. Ce savoir-faire spécifique, transmis de génération en génération par les charpentiers, a concouru à l’excellence de l’architecture française depuis des siècles, à l’égal de l’art de la stéréotomie (l’art de la coupe et de l’assemblage des pierres de taille) chez les maîtres maçons.

Rites initiatiques
Pour rendre hommage à ces professionnels méconnus, le ministère de la Culture leur a dédié un site Internet d’une grande qualité documentaire, conçu par la direction régionale des Affaires culturelles (DRAC) de Haute-Normandie, porteuse du dossier de candidature à l’Unesco (www.charpentiers.culture.fr). Baptisé Charpentiers d’Europe et d’ailleurs, il dresse un panorama complet de cette activité et de son histoire, et présente quelques portraits de ces hommes aux parcours si divers, dont les témoignages ont été recueillis par François Calame, conseiller pour l’ethnologie à la DRAC de Haute-Normandie. Ainsi de Jean-Louis Valentin, maître charpentier champenois devenu architecte, spécialisé aujourd’hui dans les maisons en bois après avoir restauré la plupart des édifices à pans de bois médiévaux du centre historique de Troyes (Aube). Ou encore de Rémi Masset, 21 ans, venu à la charpente pour échapper à la délinquance ordinaire du quartier où il vivait.

Élaboré par un ethnologue, le site met aussi en exergue quelques spécificités sociologiques de la profession. Comme toutes les spécialités enseignées dans le cadre du compagnonnage, la charpenterie s’accompagne encore d’un certain nombre de rites initiatiques propres à une sorte de société secrète – presque exclusivement masculine – dans laquelle exigence morale et professionnelle sont requises. De quoi entretenir le mystère autour de ce métier, appris dans le cadre d’une vie communautaire et par une itinérance jalonnée de rites de passage.

Les aspirants compagnons doivent produire un « travail d’adoption », qui leur donnera accès à un Tour de France d’une durée de cinq ans. Suite à la création d’un « travail de réception », souvent appelé à tort chef-d’œuvre, ils seront ou non reçus comme compagnon.

Une place à part
Devenir charpentier suppose donc une réelle abnégation, mais aussi de solides compétences à la fois manuelles et théoriques, de la connaissance des espèces de bois à leur taille, de la géométrie spatiale au dessin. La maîtrise de l’art du tracé de charpente – savoir-faire qui permet de concevoir au sol avec précision toutes les pièces à assembler –, acquise après des heures entières passées sur la planche, demeure toutefois le gage de la reconnaissance professionnelle. Grâce à cette capacité à concevoir en plan et en volume par le dessin, la charpenterie a toujours occupé une place à part au sein des métiers du bâtiment et lui a longtemps valu la possibilité d’exercer la maîtrise d’œuvre. Compas et cordeau ont ainsi été les attributs du charpentier avant d’être ceux de l’architecte…

Cela jusqu’à ce que les ingénieurs, dès le XIXe siècle et l’apparition de nouveaux matériaux (briques, métal, béton), les relèguent au rang de second rôle sur les chantiers. Dans les années 1960, leur métier a toutefois pris un nouvel essor grâce à la restauration du patrimoine alors que, désormais, la mode des maisons en bois leur offre de nouvelles perspectives. « Ce savoir-faire traditionnel va à contre-courant de la standardisation contemporaine, en valorisant la place de la personne du bâtisseur dans la construction et en insufflant une pensée créatrice aux bâtiments », rappelle l’Unesco. De quoi accéder au statut patrimonial.

Formations

Le métier de charpentier s’apprend dans le cadre de formations en alternance de différents niveaux : CAP, bac professionnel, BTS ou licence professionnelle. Pour devenir compagnon, il faudra ensuite être âgé de 18 à 23 ans et justifier d’une première qualification professionnelle. Mais aussi accepter un mode de vie et d’enseignement fondé sur la mobilité.

À consulter

www.charpentiers.culture.fr, le site consacré aux charpentiers d’Europe et d’ailleurs par le ministère de la Culture

www.institut-charpente.com, le site de l’Institut de la charpente et de la construction bois, et des compagnons du devoir

www.ccca-btp.fr, le site du Comité de concertation et de coordination de l’apprentissage du bâtiment et des travaux publics

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°319 du 19 février 2010, avec le titre suivant : Charpentier

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