Entretien avec Bernard Utudjian, galeriste à Paris

« Le rôle d’un galeriste est aussi d’éduquer »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 16 février 2010 - 770 mots

Vous êtes l’initiateur du parcours « Sunday’s Screening # 1 », qui s’est tenu le 14 février, tout comme vous avez collaboré à plusieurs actions pour fédérer les galeries. Est-il difficile de faire bouger ce petit monde ?
Il est toujours difficile de monter des événements à Paris en dehors des foires. En 1989, j’avais organisé une ouverture le dimanche au moment de la FIAC [Foire internationale d’art contemporain]. Je m’étais juré de ne pas recommencer. Pourtant, en mai 2001, j’ai lancé l’idée que chaque galerie invite une consœur étrangère à montrer un artiste. Cela a été très compliqué à mettre en œuvre. Les galeries sollicitées tendent à donner leur accord à condition que d’autres enseignes, qu’elles estiment motrices, soient aussi présentes. Beaucoup de mes confrères ne réalisent pas qu’il faut se serrer les coudes, faciliter les choses pour le public. J’ai lancé le « Sunday’s Screening # 1 » suite à une demande des collectionneurs pour voir la vidéo autrement que sur un écran d’ordinateur. Pour la première fois, aucune des galeries que j’ai contactées ne m’a demandé les noms des autres participants.

Ce type d’événement est-il porteur ?
Cela m’a permis d’attirer des gens qui n’ont pas le temps de faire le tour des galeries dans la semaine. Le rôle d’un galeriste est aussi d’éduquer, d’être pédagogue. Il faut penser au côté convivial. Les visiteurs sont bien mieux accueillis dans les galeries étrangères. On veut faire croire qu’une grande galerie, c’est forcément une ambiance froide, un directeur distant et une stagiaire qui ne dit ni bonjour ni au revoir. Une galerie est un lieu commercial, et qui dit commerce dit accueil. Quand il est plus difficile de vendre, c’est le moment d’informer. J’ai toujours mis l’accent sur le fait que les collectionneurs devaient choisir les œuvres qui leur convenaient et, pour cela, je leur donne des livres, des dossiers, du travail.

Votre liste d’artistes compte un grand nombre de photographes, comme Stéphane Couturier ou Yto Barrada. Est-il difficile de se situer à la frontière entre deux mondes, l’art contemporain et la photographie ?
En France, il y a un fossé entre la photographie historique et la photographie plasticienne. Les institutions, les supports médias, les collectionneurs sont différents. C’est la raison pour laquelle j’aime le salon Paris Photo où l’on peut voir un Stéphane Couturier et, deux stands plus loin, un photographe des années 1930. J’ai connu une période, au début des années 1990, où certains directeurs d’institutions me disaient d’envoyer des informations sur mes expositions, sauf celles de photos ! Les temps ont changé, et je dois dire que l’institution française a fait beaucoup pour la photographie plasticienne. Au moment du boom de la photo, certains de mes collectionneurs disaient qu’ils allaient vendre leurs tableaux pour acheter de la photo. Je leur ai déconseillé de le faire. Les Français fonctionnent toujours par « le retour de » ou « la fin de ».

Vous travaillez depuis longtemps avec les mêmes artistes. Pourquoi votre liste évolue-t-elle si peu ?
Je suis fidèle à mes artistes et continue à les montrer tant qu’ils me surprennent. Je travaille depuis 1986 avec Christian Lhopital, depuis 1995 avec Couturier, et depuis 1999 avec Simon Willems. Hormis Xavier Zimmermann, tous mes artistes ont fait leur première exposition chez moi (1). Cela suppose un engagement à très long terme, car nous commençons à partir de zéro. Il faut effectuer un grand travail institutionnel. Par exemple, dans le cas de Laure Tixier, j’ai envoyé, en 2006, quatre-vingts dossiers à des institutions. Parmi elles, quatre ont répondu favorablement, ce qui lui a permis de publier le livre My Cities avec le Domaine de Chamarande, la Maison des arts de Malakoff, le Mudam [Musée d’art moderne grand-duc Jean] au Luxembourg et le FRAC [Fond régional d’art contemporain] Bourgogne. Certains de mes confrères se rendent à tous les vernissages de leurs artistes dans le monde et à toutes les foires auxquelles ils ne participent pas, tandis que je préfère m’absenter le moins possible. Pour moi, la galerie est un lieu de travail.

Vous avez été le premier à vous installer rue Saint-Claude (3e arr.) en 1989. Vos confrères Philippe Jousse et Olivier Antoine vont rejoindre le quartier. Comment expliquez-vous le buzz pour cette artère et les rues adjacentes ?
Rue Louise-Weiss [13e arr.], vous avez presque une même génération de galeries et d’artistes. Or, les gens aiment l’ambiance contrastée de la rue Saint-Claude où se mélangent plusieurs générations. Ils aiment aussi le côté central du Marais.

(1) Galerie Polaris, nouvelle adresse : 15, rue des Arquebusiers, 75003 Paris, tél. 01 42 72 21 27, www.galeriepolaris.com, du mardi au vendredi 13h-19h, samedi 11h-13h et 14h-19h

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°319 du 19 février 2010, avec le titre suivant : Entretien avec Bernard Utudjian, galeriste à Paris

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