Saupoudrage ou politique culturelle ?

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 16 février 2010 - 1172 mots

Si elles ont peiné à trouver leurs marques, les régions sont désormais très investies dans la culture. Au point de craindre que la réforme territoriale n’y mette un frein…

Davantage préoccupé par ses références choisies et appuyées à son illustre prédécesseur, André Malraux, que par le sens de ses propos, Frédéric Mitterrand a prononcé le 28 janvier, devant le Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel, une phrase qui a laissé son auditoire perplexe : « La culture du XXIe siècle sera territoriale ou ne sera pas. » Manifestement, le ministre est le dernier à ignorer l’importance du rôle des collectivités en matière culturelle, comme l’a encore confirmé une étude publiée par les services de son ministère en mars 2009 (1). Consacrée aux dépenses culturelles des collectivités territoriales pour l’année 2006, cette étude atteste du rôle majeur des collectivités en tant que bailleurs de fonds de la culture. Leurs dépenses s’élèvent ainsi à 7 milliards d’euros, soit, pour la même année, deux fois et demi plus que les crédits budgétaires du ministère de la Culture (2,77 milliards d’euros).

Dans cette masse financière, les régions sont pourtant loin d’être leaders. 4,4 milliards d’euros sont dépensés par les seules communes de plus de 10 000 habitants (118 euros par habitant), plus de 840 millions d’euros par les communautés de communes (43,90 euros par habitant), quand les départements y consacrent 1,3 milliard d’euros (22,10 euros par habitant) et les régions seulement 556 millions (9,50 euros par habitant). L’Association des régions de France (ARF) table, de son côté, sur un montant actualisé de près d’un milliard d’euros. Comment expliquer un tel différentiel entre collectivités ? Les conseils régionaux auraient-ils tardé à s’emparer des problématiques culturelles ? « Ce serait injuste de dire cela, rectifie Hélène Breton, présidente de la commission Culture de l’ARF et vice-présidente de la région Midi-Pyrénées. Les régions, qui sont des entités récentes, ont peu de compétences propres en matière culturelle et leurs ressources sont assez limitées. Il est donc normal qu’il leur ait fallu un peu de temps pour prendre leurs marques et se lancer dans des politiques culturelles. »

Actions transversales
L’histoire des liens entre régions et culture est récente. La loi de 1982 instituant ce nouvel échelon a défini strictement leur champ d’intervention : « Promouvoir le développement économique et social, sanitaire, culturel et scientifique du territoire et assurer la préservation de son identité. » Compétence non obligatoire, la culture ne peut donc s’y épanouir que dans le cadre d’actions transversales privilégiant le développement économique et l’aménagement du territoire. Rapidement, l’État a pourtant incité les régions, via ses directions régionales des Affaires culturelles (DRAC), à s’engager sur le sujet dans le cadre de partenariats. Dès 1983, chaque région accepte de cofinancer sur son territoire, à parité avec l’État, un Fond régional d’art contemporain (FRAC) et un Fond régional d’acquisition pour les musées (FRAM). Et au milieu des années 1990, la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar) privilégie la région comme niveau de décentralisation culturelle. Au début des années 2000, le bilan est toutefois mitigé. Cette politique s’est parfois limitée à du « saupoudrage » consistant à subventionner structures diverses et collectivités, sans mener de réflexion globale en termes de politique culturelle. Peu satisfaites d’être cantonnées à ce rôle de guichet, plusieurs régions commencent alors à structurer des services spécifiques. Des axes communs émergent, envisageant la culture comme un levier de l’attractivité territoriale : soutien aux industries culturelles et aux formations, développement et aménagement des territoires.

Initié en 2004, le second acte de la décentralisation, en transférant certaines compétences aux régions, a-t-il changé la donne ? Dans les faits, peu de responsabilités nouvelles ont été concédées : dévolution de certains monuments historiques appartenant à l’État (dont six régions seulement se sont saisies), possibilité de créer des musées régionaux, conservation et mise en valeur des archives régionales, et responsabilité de l’inventaire général du patrimoine culturel. La possibilité de gérer, à titre expérimental, les crédits d’entretien et de restauration du patrimoine classé ou inscrit n’appartenant pas à l’État a toutefois échoué. « Alors qu’elle était lancée à un moment où les crédits des monuments historiques étaient dans le gouffre, les collectivités ont craint de tomber dans un piège », précise Hélène Breton. Idem pour l’organisation et le financement du cycle d’enseignement artistique professionnel initial, dont le transfert a achoppé, faute d’évaluation des coûts. Cette inflation très modérée des compétences – à titre d’exemple, l’État ne consacrait que 2,1 millions d’euros à l’inventaire – n’explique pas l’explosion des budgets culturels des régions.

Des habitudes bien établies
Depuis les dernières élections, le rythme d’augmentation a atteint 11 % par an, certaines régions ayant doublé leur engagement. Mais l’étude du ministère de la Culture relativise cette donnée : « Sur la période, la hausse des dépenses culturelles est comparable à celle des budgets globaux. » Les disparités demeurent également assez marquées, les régions consacrant de 1,6 à 4 % de leur budget à la culture, soit de 3,7 à 10,70 euros par habitant (lire p. 20 et suiv.). Par ailleurs, la structure de leurs dépenses semble confirmer l’absence de transformation radicale des habitudes : 75 % des sommes sont toujours allouées aux activités culturelles et artistiques (93 % des subventions régionales sont versées à des associations), 20 % au patrimoine et seulement 2 % aux enseignements artistiques. Et quelques exceptions mises à part, les dépenses ont lieu à plus de 80 % en fonctionnement. « Il me semble qu’aujourd’hui le territoire est correctement maillé en équipements, souligne Hélène Breton, qui se réjouit de cette tendance. L’offre est là. Le problème est plutôt de faire fonctionner correctement les équipements et de susciter l’envie. Mais financer du fonctionnement, cela se voit moins et, surtout, cela ne fait qu’augmenter au fil des années ! »

Cette inflation pourrait toutefois connaître un coup d’arrêt avec la réforme territoriale initiée par le gouvernement. Si la clause de compétence générale – qui permet à une collectivité d’intervenir hors des compétences obligatoires, notamment en matière culturelle – devrait être maintenue, la réforme de la fiscalité locale (suppression de la taxe professionnelle et perte d’autonomie fiscale) laisse en revanche présager de jours plus sombres (lire p. 19). « Ce sera plus compliqué pour les départements dont les dépenses d’action sociale ont explosé avec la crise », relativise Hélène Breton. Mais les perdants des financements des départements risquent aussi de venir frapper à la porte des régions, qui vont quant à elles perdre 10 % de leurs ressources. Année électorale oblige, aucune baisse sensible n’a encore été répercutée sur les budgets 2010 – d’autant plus que l’État s’est engagé à compenser pour cette année. Mais après ? « Ce sera très dur », confesse un élu qui prédit « une déconfiture dans certaines régions où les dépenses culturelles avaient explosé au cours de ces dernières années. »  

(1) Jean-Cédric Delvainquière et Bruno Dietsch, Les Dépenses culturelles des collectivités locales en 2006 : près de 7 milliards d’euros pour la culture. Cette étude s’appuie sur l’analyse des données comptables des dépenses réellement exécutées.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°319 du 19 février 2010, avec le titre suivant : Saupoudrage ou politique culturelle ?

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