ARC

Image et illusion

Sturtevant et la pensée tape-à-l’œil

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 16 février 2010 - 635 mots

PARIS - En voiture Simone… Un véritable train fantôme sillonne quelques salles de l’ARC-Musée d’art moderne de la Ville de Paris, où Sturtevant vient d’élire domicile avec un accrochage pour le moins radical dans sa forme.

En premier lieu, l’exposition est scindée en deux parties bien distinctes, avec des entrées séparées et nulle voie de passage possible de l’une à l’autre. À côté d’un accrochage traditionnel intitulé « Wild to Wild », qui, en regroupant une petite dizaine d’œuvres, prend le parti réussi d’une sécheresse rarement poussée à ce point en ces lieux, s’est installé ce train fantôme répondant au doux titre de House of Horrors (2010), en tous points semblable à celui d’une fête foraine. D’horreur il est en effet question, mais dans un versant burlesque, lorsque le visiteur se trouve confronté à une succession de saynètes animées par des mannequins. Il y croise notamment, en une sorte de nouvel avatar, le personnage de sa vidéo The Dark Threat of Absence Fragmented and Sliced (2002), elle-même inspirée par Paul McCarthy, où un personnage se tranche les doigts avec un hachoir. S’enchaînent ensuite sorcières et squelettes, une tête morte posée sur une table et qui bouge encore, mais aussi l’actrice Divine ingérant des excréments, scène culte du Pink Flamingos de John Waters.

Cette ample installation, qui, d’un aspect ludique, n’offre que l’illusion et met en jeu la perception par le souvenir et la réminiscence, s’impose comme un parfait complément de l’autre volet, « Wild to Wild ». Car, aux côtés de reprises de travaux iconiques de Frank Stella (Stella Union Pacific, 1989), Joseph Beuys (2 Beuys Fettstuhl, 1993), ou Felix Gonzalez-Torres (Gonzalez-Torres Untitled – America, 2004), jusqu’à deux remarquables mises en scène inspirées par Marcel Duchamp où l’artiste glisse des indices liés à sa propre identité et ses performances passées (Duchamp ciné, 1989/Duchamp nu descendant un escalier, 1967, et Duchamp 1200 Coal Bags, 1992), sont montrés des travaux vidéo plus récents. Sturtevant assume là le passage à une époque marquée, selon elle, par la révolution cybernétique.

Ayant toujours réfuté l’étiquette d’artiste appropriationniste, l’artiste américaine a concentré ses actes de reprise sur une dynamique de la pensée s’appuyant, pour une part, sur l’articulation efficiente entre l’image et l’objet, et, d’autre part, sur l’importance de la persistance, de la résistance, de la rémanence de l’image comme facteurs nécessaires à son appréhension et sa compréhension. Or, avec ses installations vidéo telles Finite Infinite (2010), qui voit sur plus de huit mètres de long un chien courir en boucle jusqu’à l’épuisement, ou Elastic Tango (2010), mur d’écrans où se mélangent des fragments de ses œuvres à des images récupérées, pointent les dangers de l’illusion et du simulacre devenus de puissants adjuvants de l’image contemporaine, qui participent d’un nivellement de l’attention, de la réflexion… de la pensée en bref.

Intitulée dans son ensemble « The Razzle Dazzle of Thinking », expression qui désigne une façon de penser tape-à-l’œil, l’exposition pose ainsi la problématique de l’impact de la réplique dans une conception globale de l’image où l’acte même de la réflexion tend à être tiré vers le bas. L’obligation de parcourir de nouveau l’accrochage à l’envers contribue à cette prise de conscience, lorsque le déjà-vu impose à l’œil de s’interroger sur la qualité de ce qui a été perçu. Habile est alors ce train fantôme qui, de prime abord, constituerait le passage, après le règne de l’intellect et de la réflexion, à une pensée toute en surface, un pur décor, alors qu’il s’articule lui aussi autour de cette question de la prégnance du visuel dans notre compréhension du monde. Il s’impose comme un outil de remise en perspective de notre rapport à l’image et au simulacre que trop souvent elle constitue. La superficialité ne se niche pas toujours où l’on croit !

STURTEVANT

Commissaire : Anne Dressen, conservatrice à l’ARC
Nombre d’œuvres : 12

STURTEVANT. THE RAZZLE DAZZLE OF THINKING, jusqu’au 25 avril, ARC-Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-22h. Cat., éd. Paris Musées, 304 p., 39 euros, ISBN 978-2-7596-0114-1

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°319 du 19 février 2010, avec le titre suivant : Image et illusion

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