Enseignement

Bain de jouvence

Les artistes considèrent le contact avec les étudiants comme une source d’oxygénation mentale, plutôt qu’un pis-aller économique

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 16 février 2010 - 542 mots

Dis-moi quels sont tes artistes, et je te dirai qui tu es. L’aura d’une école repose bien souvent sur la qualité de ses plasticiens enseignants.

Pour ces derniers, l’enseignement est un appoint économique parfois nécessaire, de l’ordre de 2 000 à 2 500 euros nets mensuels pour un plein-temps (seize heures hebdomadaires). « Je souhaitais avoir un job à côté, un peu comme Marcel Duchamp qui était bibliothécaire à Sainte-Geneviève pour ne pas avoir à peindre toute sa vie le Nu descendant l’escalier. Cela donne une liberté économique, et de fait une liberté artistique », confie Noël Dolla, enseignant à la Villa Arson, à Nice, depuis 1974. La plupart des plasticiens ont su faire de nécessité vertu. Presque tous cherchent dans cette pratique un ressourcement continu, une reconfiguration de leur pensée et une connaissance plus aiguisée des tendances actuelles. « C’est le seul endroit au monde où on parle d’art, souligne Franck Scurti, enseignant depuis 2002 à l’école nationale des beaux-arts de Lyon. Ailleurs, on parle de sociologie de l’art, de tactique ou de stratégie. » 

De fait, loin de toutes contingences matérielles, les grands pontes, comme Christian Boltanski ou Annette Messager, gardent un pied dans l’école. Lorsque Giuseppe Penone a commencé à enseigner à l’École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA à Paris) voilà douze ans, il avait une très longue carrière derrière lui. « Le risque, quand on travaille depuis longtemps, c’est de perdre les motivations de l’œuvre. D’autres choses entrent en ligne de compte, comme le marché, le désir de grandes expositions, indique-t-il. Au contact des étudiants, je suis obligé de réfléchir à mes propres motivations. » Son confrère Ange Leccia ne dit pas autre chose : « Je me réinvente tout le temps à côté d’eux. Je prends presque autant de plaisir que si je fabriquais des œuvres, même si je ne suis pas le maître qui façonne ses étudiants. » À l’instar d’Ange Leccia ou de Jean-Luc Vilmouth, certains tâtent de l’enseignement dès le début de leur parcours. Pour le jeune Raphaël Zarka, professeur à l’école supérieure des beaux-arts d’Angers depuis trois ans, l’intérêt réside tout autant dans le frottement aux élèves que dans la fréquentation privilégiée des autres enseignants.

Ouverture sur le monde
À la sensibilisation en première année, les créateurs préfèrent souvent les fins de cycle. « C’est un tort », estime Arnaud Labelle-Rojoux, qui enseigne de la première à la cinquième année à la Villa Arson. « Il y a, en première année, une innocence et une volonté d’exister, alors qu’à partir de la troisième année, le risque de modélisation est grand. » La modélisation, voilà un sujet qui fâche. Car aucun  artiste ne souhaite transformer ses élèves en clones. Pour Penone, il s’agit de transmettre « une méthodologie de travail, des manières de s’approcher d’un problème, des questions de nécessité de l’œuvre ». La discussion en tête-à-tête est au cœur du professorat de Franck Scurti. De son côté, Ange Leccia se présente comme une « banque de relais », favorisant la connexion des étudiants avec d’autres artistes. D’où son idée de créer, en 2001, au sein du Palais de Tokyo, à Paris, le « Pavillon », une unité pédagogique où les étudiants bénéficient du cadre stimulant du centre d’art. Enseigner, c’est surtout ouvrir au monde.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°319 du 19 février 2010, avec le titre suivant : Bain de jouvence

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