Le Musée Russe fait exception

Vladimir Goussev dispose de 20 millions de dollars par an pour préparer la commémoration du centenaire

Le Journal des Arts

Le 1 mars 1996 - 968 mots

En Russie, alors que la plupart des musées se plaignent d’un manque de moyens, le Musée Russe de Saint-Pétersbourg se prépare à célébrer son centenaire, en 1998, avec faste. Cette vaste institution, qui emploie 1 500 personnes, dont environ 230 chercheurs, abrite la plus grande collection d’art russe au monde. Au cours des cinq dernières années, Vladimir Goussev – avec le soutien d’Anatoli Sobtchak, maire de la ville, qui lui a confié la responsabilité de trois nouveaux palais – a lancé un programme ambitieux de rénovation et d’extension. Le directeur du Musée Russe nous précise la teneur de ses projets, le calendrier des futures expositions, ainsi que son point de vue sur le marché de l’art et la situation des artistes en Russie.

Les difficultés économiques de la Russie se répercutent-elles sur le Musée Russe ?
Vladimir Goussev : Bien que la situation financière de la Russie soit catastrophique, le Musée Russe n’a pas de problèmes majeurs. En effet, l’État nous alloue environ 20 millions de dollars (100 millions de francs) par an pour les importantes restaurations liées à la célébration de notre centenaire, en 1998. Auxquels s’ajoutent les revenus tirés de nos publications et des expositions bénéficiant de mécénat, que nous consacrons à l’acquisition d’œuvres à l’étranger. Il faut enfin mentionner notre département de collecte de fonds, bien qu’il soit encore à l’état embryonnaire.

Quels sont vos projets de restauration ?
Nous détenons la plus grande collection d’art russe au monde, environ 400 000 pièces, mais jusqu’à une période très récente, nous ne pouvions en exposer plus de 1 %. C’est pourquoi le Musée Russe dispose désormais de trois espaces d’exposition supplémentaires : le Palais Stroganoff – un édifice baroque de Rastrelli sur la perspective Nevsky –, le Château des ingénieurs – le palais du Jardin d’été où Paul Ier fut assassiné –, et le Palais de marbre – qui abritait autrefois le Musée Lénine, sur la Neva.

Le Palais Stroganoff devrait rester très lié à l’histoire de la famille Stroganoff, qui a joué un rôle majeur dans la culture russe. Le Château des ingénieurs accueillera la galerie de portraits et sera consacré à l’histoire de la Russie. Le Palais de marbre devrait situer l’art russe dans un contexte occidental. Il abrite d’ores et déjà un espace d’expositions temporaires, ainsi que la collection Ludwig. En 1998, ces trois palais et le Palais Michel, l’édifice principal, devraient être entièrement ouverts au public. Nous pourrons alors montrer 10 à 15 % de nos collections. Sans compter la succursale que nous venons d’ouvrir à Okaro, au Japon, grâce au soutien de la chaîne de magasins Marui Imayi.

Quelles expositions prévoyez-vous ?
Nous avons inauguré, au mois de décembre, une importante exposition de portraits russes au Château des ingénieurs. Nous présenterons, au mois d’avril, une exposition sur l’image de la Vierge Marie dans l’art russe, et préparons, pour le mois de juin, une grande exposition Petrov Vodkine, un artiste qui fut influencé par Matisse, puis par le Cubisme, avant de se tourner vers la peinture d’icônes. Elles se tiendront toutes les deux au Palais Michel, mais nous proposerons des petites expositions temporaires dans les autres palais. Comme, par exemple, au Palais Stroganoff, où sont actuellement exposées des icônes de la collection Stroganoff.

Quels sont vos rapports avec la famille Stroganoff ?
Helen Stroganoff et son mari, qui vivent à Londres, ont créé une fondation à but non lucratif pour restaurer le palais-musée, très abîmé. C’est un des aspects de notre politique de "retour au pays". L’idéologie officielle du régime communiste a tout fait pour couper les émigrés de la culture russe. Aujourd’hui, nous voulons rendre aux Russes ces valeurs spirituelles en achetant et en exposant, chaque fois que cela est possible, des œuvres représentatives des trois "vagues" d’émigration russe.

Quels commentaires avez-vous à faire au sujet des restitutions des prises de guerre ?
Cette question ne me concerne heureusement pas, car le Musée Russe ne possède aucune œuvre saisie par l’Armée Rouge. Je ne souhaite donc pas m’exprimer sur ce sujet. Mais je me réjouis que certaines de ces œuvres puissent être aujourd’hui montrées au public, à l’Ermitage et au Musée Pouchkine. D’autre part, après l’éclatement de l’Union soviétique, certains États m’ont écrit en exigeant la restitution d’œuvres sur lesquelles ils estimaient avoir des droits. L’Ukraine réclamait, par exemple, un tableau de Répine. Ces lettres sont restées sans réponse, et nous n’en avons plus entendu parler depuis.

Depuis quand la censure a-t-elle cessé de s’exercer à l’encontre de l’Avant-garde soviétique ?
Il nous a été impossible de présenter la moindre œuvre de l’Avant-garde jusqu’en 1986. À cette date, parallèlement à la grande exposition Filonov, nous avions exposé des œuvres illustrant les différentes tendances des années vingt et trente. Le Musée Russe possède en effet les collections de l’Institut de la culture artistique, qui avaient été transférées au musée en 1926. Parmi elles, quantité d’œuvres de Malevitch et de Kandinsky. À l’époque, un département spécial avait même été créé au sein du musée, dirigé par Nikolaï Pounine. Ce département a survécu jusqu’au début des années trente, puis fut supprimé. Nous tâchons aujourd’hui de le recréer, afin de renouer avec les artistes contemporains.

Comment a évolué le marché de l’art russe contemporain depuis la fin des années quatre-vingt ?
La notion de clandestinité a complètement disparu, et le marché exerce aujourd’hui une influence très forte, à la fois positive et négative. La vie artistique s’est normalisée. De petites galeries et des marchands indépendants apparaissent, ce qui marque un progrès par rapport à l’époque où l’on distinguait l’art officiel de l’art non officiel. Mais en même temps, la situation se révèle des plus incertaines, et des artistes qui vivaient bien jusqu’ici se heurtent à présent à de gros problèmes, et vice versa. Beaucoup d’anciens artistes officiels ont réussi à s’adapter au marché, mais certains ont dû changer de métier. C’était inévitable.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°23 du 1 mars 1996, avec le titre suivant : Vladimir Goussev dispose de 20 millions de dollars par an pour préparer la commémoration du centenaire

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