Fondation Thyssen-Bornemisza : complète et complémentaire

Thomas Llorens : la fondation vient parachever les collections publiques espagnoles

Le Journal des Arts

Le 1 mars 1996 - 829 mots

Thomas Llorens est conservateur de la Fondation Thyssen-Bornemisza depuis son installation à Madrid en 1992. Au prêt à long terme, consenti à l’origine par le baron Thyssen, a succédé une procédure d’acquisition qui a permis à l’État espagnol d’entrer en possession de près de 800 œuvres, anciennes et modernes, pour un coût d’environ 35 milliards de pesetas (environ 1,4 milliard de francs). Ancien directeur de l’Instituto Valenciano de Arte Moderna, de 1986 à 1988, puis du Centro de Arte Reina SofÁ­a, de 1988 à 1990, Thomas Llorens précise la mission de la fondation, qui a accueilli 475 000 visiteurs en 1995, donne son point de vue sur la politique culturelle du gouvernement et explique le fonctionnement de cette institution, dotée d’un budget d’un milliard de pesetas (40,5 millions de francs).

Quel a été l’impact de la création de la Fondation Thyssen-Bornemisza à Madrid ?
Thomas Llorens : La qualité des œuvres de la collection et sa représentativité ont énormément apporté à la ville. Étant donné la manière dont les collections historiques comme le Prado ont été créées, l’art européen du XVIIIe au XXe siècle était peu ou pas représenté à Madrid jusqu’ici. De même, à cause de la guerre qui l’a longtemps opposée aux Pays-Bas, l’Espagne possède très peu de tableaux du "siècle d’or" de la peinture hollandaise.

À l’opposé, la collection Thyssen a été constituée scientifiquement, sur le modèle des collections modernes, comme celles qui ont été réunies à partir de la moitié du XIXe siècle, à la National Gallery de Londres ou à la Nationalgalerie de Berlin. Le père de l’actuel baron était l’ami de Wilhelm von Bode. Il a également été conseillé par Friedländer et par Berenson. Notre collection est donc d’une toute autre nature que les collections espagnoles. Elle repose sur des principes anglo-saxons, qui tiennent compte de l’évolution de l’histoire de l’art.

En outre, pour attirer les visiteurs dans les musées, il faut aujourd’hui montrer des toiles impressionnistes. J’ignore combien de temps durera cet engouement, mais il ne devrait pas retomber de sitôt. Notre collection n’est pas la meilleure d’Europe dans ce domaine, mais elle est plus riche qu’aucune autre en Espagne.

Pensez-vous que le développement culturel de Madrid, depuis une quinzaine d’années, soit dû à la politique menée par le gouvernement socialiste, ou estimez-vous qu’une telle évolution était inévitable ?
Même si, personnellement, je me sens proche des socialistes, je pense qu’ils n’ont pas su mener une politique culturelle cohérente et que ces contradictions sont apparues avec force ces dernières années. Je dirais que l’essentiel a été sacrifié au nom de l’accessoire, même si l’achat de la collection Thyssen est, bien sûr, digne d’éloges.

De très nombreux musées d’art contemporain ont été créés en Espagne, mais encore une fois, le tribut payé à la mode a été trop lourd, et l’autonomie laissée aux régions et au niveau local trop importante. Je crois également que des événements culturels tels que l’exposition universelle de Séville, en 1992, et Arco, la foire d’art contemporain de Madrid, n’ont pas été suffisamment réfléchis. En définitive, les musées ouverts dans les années quatre-vingt connaissent le même sort que les Fonds régionaux d’art contemporains en France, tandis qu’Arco est au service d’un lobby. La foire a été créé pour valoriser un art contemporain d’un type très limité, vendu uniquement dans quelques galeries à Londres, à New York, en Suisse ou en Allemagne.

Quelles initiatives comptez-vous prendre à l’avenir ?
Mon premier souci est de développer et de consolider notre politique d’expositions temporaires, en privilégiant les expositions de taille réduite.

De quelle manière les décisions sont-elles prises au sein de la fondation ?
Il existe une structure double avec, d’un côté, un directeur, Julian Leon, qui se charge des aspects administratifs et économiques et, de l’autre, un conservateur en chef – moi-même –, responsable de la collection et de la programmation culturelle. Nous devons l’un et l’autre rendre des comptes au conseil d’administration, qui est composé de douze membres, dont huit représentent le gouvernement, et quatre la famille Thyssen-Bornemisza. Il se réunit régulièrement et prend la plupart des décisions. Depuis peu, un comité exécutif de six membres a été créé, auquel le conseil a délégué un certain nombre de pouvoirs. Nous avons également constitué un comité consultatif pour le prêt des œuvres d’art, qui réunit deux administrateurs et moi-même.

Vous est-il possible de recommander personnellement telle ou telle acquisition ?
L’achat de la collection elle-même est encore tout récent. Il va s’écouler quelque temps, j’imagine, avant qu’une politique d’acquisition ne soit mise en œuvre. Mais selon les statuts de la fondation, toute acquisition devra respecter la nature et la qualité de la collection.

Pouvez-vous vous défaire de certaines œuvres ?
Une double interdiction légale s’y oppose. La première, la Ley del Patrimonio Histórico Español (une loi de première importance, adoptée  en 1985), défend formellement la vente de toute œuvre conservée dans une collection publique. La seconde concerne directement notre collection : l’Espagne a signé un contrat avec la famille Thyssen-Bornemisza, qui exclut expressément la vente des œuvres.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°23 du 1 mars 1996, avec le titre suivant : Thomas Llorens : la fondation vient parachever les collections publiques espagnoles

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