Le mois vu par Jacques Rigaud, PDG de RTL, PDG de l’Admical

Le Journal des Arts

Le 1 mars 1996 - 865 mots

Alors qu’il vient de publier L’exception culturelle, aux éditions Grasset, Jacques Rigaud a été chargé par le ministre de la Culture, Philippe Douste-Blazy, de présider une commission de refondation du \" modèle français de service public de l’action culturelle \". Né en 1932, conseiller d’État honoraire, ancien directeur de cabinet de Jacques Duhamel au ministère des Affaires culturelles et ancien président de l’Établissement public du Musée d’Orsay, Jacques Rigaud est PDG de RTL et président de l’Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (Admical). Il commente l’actualité du mois.

Comment comptez-vous "redéfinir les missions et les méthodes" du ministère de la Culture ?
Il faut prendre acte de la profonde transformation du paysage culturel français sous l’effet même de la politique culturelle forgée par l’État dans les années soixante. Depuis la décentralisation, les entités culturelles, qu’elles soient publiques ou privées, ont acquis une plus large autonomie.

Les pôles d’initiative se sont multipliés (villes, régions, départements, mécénat d’entreprise…), ce qui est finalement un signe de bonne santé, mais leur activité est un peu désordonnée. Les moyens financiers de la Culture n’étant pas illimités, hélas, il faut trouver des méthodes pour harmoniser ces initiatives, éviter les doubles emplois, les saupoudrages et les fuites en avant.

Selon vous, quelle stratégie les musées doivent-ils adopter face au développement de l’Internet ?
Avant même que l’on parle d’Internet et du multimédia, j’ai été très frappé de constater – lors de la construction du Musée d’Orsay notamment – que le monde des musées était déjà constitué en réseau. Il y a, entre les grands musées du monde, une circulation d’idées, des coopérations, mais également des rivalités, qui font qu’il existe dans ce milieu, a priori un peu institutionnel, une communication, une vie en réseau qui est extraordinairement forte.

Elle s’explique évidemment en grande partie par la nécessité de monter ensemble des expositions. Il est certain que l’Internet ne peut que faciliter et encourager cet état de fait, en même temps que c’est un moyen, comme le CD-Rom, de rendre accessible les musées et leurs trésors à qui le veut. Au fond, le Musée imaginaire de Malraux est à notre portée.

Comment avez-vous réagi à l’annonce de la fermeture de l’American Center ?
J’observe qu’aux États-Unis, le mécénat d’entreprise, qui est sans doute la source principale du financement des activités culturelles, connaît une phase difficile. Dans la mentalité culturelle actuelle, le mécénat "off shore", à l’étranger, suscite sans doute plus d’indifférence que dans le passé. Je regrette que les grandes entreprises américaines ne ressentent pas la nécessité d’aider une institution de dialogue et de culture, d’origine américaine, en France.

Quand aux entreprises américaines présentes en France, elles privilégient un mécénat "à la française". Leur objectif est de s’enraciner dans le pays, de créer des liens, plutôt que de se mettre à la disposition d’une institution proprement américaine.

Comment expliquez-vous que la rétrospective Corot n’ait pas attiré de mécène ?
Ce n’est pas la première fois que cela arrive, et il n’est pas inscrit dans la nature des choses que toute exposition doive trouver son mécène. Le dossier est à plaider à chaque fois. Après une première réaction de méfiance à l’égard du mécénat, la Réunion des musées nationaux, le Louvre, le Centre Georges Pompidou, entre autres, ont été très heureux de bénéficier de cette manne, et cela a peut-être conduit leurs responsables à exprimer d’assez grandes exigences. C’est en tous cas le sentiment que j’ai eu du côté des grandes entreprises. Car je sais que certaines d’entre elles ont été refroidies par ces exigences, et parfois même par l’arrogance de leurs interlocuteurs, qui, en toute bonne foi d’ailleurs, croyaient avoir un droit au mécénat et s’étonnaient qu’on ne se précipite pas !

Enfin, le mécénat des grandes expositions est motivé dans le cadre de la politique de communication des entreprises. Il y a donc de leur part un souci de "succès d’opinion". Lorsqu’il s’agit d’Impressionnisme, elles jouent sur du velours – voir les succès récents de Cézanne et celui, démesuré, de Caillebotte (345 077 entrées payantes) face à la rétrospective Poussin (272 876 entrées payantes) qui avait lieu au même moment –, mais peut-être que Corot leur est apparu comme un peintre plus difficile.

Êtes-vous favorable à l’entrée des arts primitifs au Louvre ?
D’un point de vue philosophique, ces arts primitifs méritent la même considération que les arts occidentaux. Logiquement, dans l’absolu, leur cohabitation au sein d’un même ensemble se justifie parfaitement, mais j’avoue que je suis beaucoup plus réservé dans le cas présent. Car le programme du Grand Louvre a sa propre cohérence, et il me semble difficile d’y intégrer les arts primitifs en cours de route.

Que je sache, Jacques Chirac était Premier ministre à un moment où rien n’était encore définitif, et il aurait fort bien pu avoir un dialogue sur ce thème avec François Mitterrand puisque son gouvernement a assumé l’opération Grand Louvre. C’est à ce moment-là qu’il fallait le faire et non pas maintenant, alors que le programme est en cours d’achèvement. Aujourd’hui, il n’est pas possible d’introduire les arts primitifs dignement au Louvre sans déséquilibrer l’ensemble du programme. Et si Monsieur Chirac veut marquer sa présidence par une grande initiative dans ce domaine, il faut trouver un autre lieu.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°23 du 1 mars 1996, avec le titre suivant : Le mois vu par Jacques Rigaud, PDG de RTL, PDG de l’Admical

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