Des hippies aux marchands

Une collection américaine au Musée Cernuschi

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 1 avril 1996 - 444 mots

Sous la houlette de Gilles Béguin, qui assume depuis peu la charge de conservateur en chef du Musée Cernuschi, se tient une superbe exposition consacrée aux arts peu connus du Népal et du Tibet. Provenant de l’une des plus riches collections privées américaines, statuettes métalliques, peintures portatives ou rouleaux enluminés déclinent avec raffinement l’iconographie complexe de l’hindouisme et du bouddhisme ésotérique. Didactique et passionnant.

PARIS - Comme le rappelle Gilles Béguin dans la préface du catalogue, la première confrontation du public occidental avec l’art himalayen remonte à 1952. Le mérite en incombait déjà au Musée Cernuschi, qui présentait alors l’ensemble prestigieux de peintures archaïques collectées par le professeur italien Giuseppe Tucci au cours de ses nombreux périples. Ce fonds allait rejoindre, quelques années plus tard, le riche département asiatique du Los Angeles County Museum of Art…

La formation de la célèbre collection Zimmerman (couple new-yorkais qui tient à conserver l’anonymat alors que son nom figure au catalogue de l’exposition…) participe de ce même engouement anglo-saxon pour les arts du Népal et du Tibet, curieusement négligés, voire boudés par les institutions françaises. Doit-on attribuer ce penchant au regard "plus neuf" des collectionneurs américains, ou tout simplement au poids de l’héritage britannique dans l’intérêt manifesté pour les arts asiatiques ?

En fait, les premiers objets népalais et tibétains n’ont fait leur apparition sur le marché occidental qu’au début des années cinquante. Mais quelque vingt ans plus tard, les anciens hippies de Katmandou avaient acquis un sens suffisamment aigu des affaires pour ouvrir leurs propres galeries dans Madison Avenue…

"Une passion exclusive, une érudition extraordinaire, une fascination de l’étrange à la Rodolphe II", telles sont les qualités essentielles du collectionneur d’art himalayen, selon Gilles Béguin qui les connaît bien. Cependant, si la donation effectuée par Lionel Fournier au Musée Guimet trahissait une inclinaison avouée pour l’ésotérique et le macabre, la collection des Zimmerman se veut, quant à elle, plus complète, plus décorative, moins "hallucinée".

Offrant un équilibre rare entre l’art newar de la vallée de Katmandou et l’art tibétain, elle s’enorgueillit de nombreuses pièces d’une très haute antiquité, comme cette célèbre plaque en cuivre repoussé datée 1004, ou d’objets emblématiques devenus des références pour tout historien de l’art. Parmi ces chefs-d’œuvre à la beauté convulsive, se détachent des déités de bronze aux visages multiples, furieusement accouplées dans une union mystique, ou des thangka de soie dont la verve décorative n’a rien à envier à un Jérôme Bosch !

IDOLES DU NÉPAL ET DU TIBET, ARTS DE L’HIMALAYA, jusqu’au 19 mai. Musée Cernuschi, 7 av. Vélasquez, 75017 Paris. Tous les jours, sauf le lundi, de 10h à 17h40. Catalogue coédité par Paris-Musées et les éditions Findakly, 280 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°24 du 1 avril 1996, avec le titre suivant : Des hippies aux marchands

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