L'actualité vue par Jack Lang, ancien ministre de la Culture de François Mitterrand - 'Le patrimoine ne doit pas être transféré, sauf exception'

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 2 février 2010 - 1388 mots

L’ancien ministre de la Culture Jack Lang prend la présidence de l’Association pour le développement du Centre Pompidou

Ancien ministre de la Culture et de l’Éducation nationale, Jack Lang est député de la 6e circonscription du Pas-de-Calais et membre de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale. Il est aussi vice-président du conseil régional du Nord - Pas-de-Calais. Il a été élu le 14 janvier à la présidence de l’Association pour le développement du Centre Pompidou. Il succède ici à Édouard Balladur, qui en devient président d’honneur. Jack Lang commente l’actualité.

Comment avez-vous accueilli votre élection en tant que président de l’Association pour le développement du Centre Pompidou ?
Édouard Balladur m’a proposé de prendre la tête de cette association. J’ai accepté pour plusieurs raisons : par amitié par Édouard Balladur ; par fidélité à Mme Claude Pompidou que j’aimais beaucoup ; et par attachement pour le Centre, qui est une création que j’ai soutenue depuis l’origine.

Quelles vont être vos priorités à la tête de cette association ?
La responsabilité artistique, culturelle, technique, juridique appartient au président du Centre, M. Alain Seban. Ma mission comme celle des membres de cette association est d’épauler le président du Centre et éventuellement de suggérer un certain nombre d’idées. Je veux aider le Centre à se déployer, se développer.

Vous avez assisté le 8 janvier à l’inauguration dans la cour du Palais-Royal des « Colonnes » de Buren restaurées. Comment jugez-vous cette restauration ?
Je crois qu’elle est réussie. Je félicite Christine Albanel d’en avoir pris l’initiative. Il était temps parce que l’ouvrage se dégradait gravement. C’est très réussi et Frédéric Mitterrand a mis en valeur avec intelligence ce site rénové. Cette œuvre me tient à cœur parce qu’elle est un exemple de l’insertion complète d’une création contemporaine dans un monument historique. Ce n’est pas une œuvre posée arbitrairement, c’est réellement une architecture dans l’architecture.

Et une œuvre adoptée par le public…
Absolument, et c’est très réjouissant. Je me souviens des polémiques véhémentes qui ont accompagné le chantier en 1985. C’est un changement d’attitude qui est heureux, et qui montre que, finalement, il ne faut pas craindre d’être provisoirement en décalage avec une opinion publique qui peut être mal informée ou déformée par des campagnes de presse et politiques. La réussite de cette adoption montre que les responsables ne doivent pas craindre d’être un peu en avance sur l’état de la société et de la pensée.

Avez-vous apprécié le « Monumenta » de Christian Boltanski au Grand Palais ?
C’est une exposition émouvante, bouleversante, éprouvante. Boltanski, l’un de nos meilleurs artistes aujourd’hui, donne la pleine mesure de sa sensibilité, de son intelligence artistique et de son sens de l’espace.

Il vient aussi d’être choisi pour représenter la France lors de la prochaine Biennale de Venise…
J’en suis très heureux.

Cela n’arrive-t-il pas un peu trop tard ?
Non. Buren d’ailleurs a représenté la France il y a une vingtaine d’années [en 1986]. On ne doit pas se priver de choisir un artiste de cette valeur parce qu’il est déjà reconnu internationalement. Au contraire. Je pense que c’est un très bon choix.

L’action culturelle extérieure de la France est en train d’être réformée. Beaucoup de députés sont inquiets de l’effondrement des moyens dont dispose cette action, de l’ordre de - 50 % en cinq ans. Est-ce préoccupant selon vous ?
Naturellement. Je trouve gravissime que le ou les ministres responsables aient laissé le ministère des Affaires étrangères à ce point dévêtu, dépouillé et affaibli. Une des grandes forces de frappe de la France, c’est d’abord sa culture, et pas seulement son arme nucléaire. Je ne comprends pas que les équipes ministérielles aient accepté cet effondrement de nos moyens d’action extérieurs. C’est une grave faute à la fois politique, culturelle et économique.

Le ministère de la Culture vient aussi de se réorganiser. Que pensez-vous de sa nouvelle architecture ?
À contre-courant de nombreuses idées, j’ai toujours pensé que le ministère de la Culture méritait d’être une exception dans tous les sens du terme : une politique d’exception, des moyens d’exception, une organisation d’exception pour faire face à une mission d’exception. L’idée d’une réorganisation de l’administration de l’État est légitime. C’est certain que l’on doit s’efforcer d’introduire dans la gestion de l’administration de l’État un peu plus de modernité.

Je ne suis pas hostile par principe à cette organisation. Mais j’ai toujours pensé que ce ministère devait rester un ministère très particulier. Des directeurs à compétence trop vastes risquent d’être coupés des artistes eux-mêmes et des créateurs. C’est ma crainte.

Le gouvernement a l’intention de transférer massivement le patrimoine de l’État aux collectivités locales. Y êtes-vous favorable ?
Je suis par principe très réservé. On ne peut pas répondre de manière générale et absolue, mais je pense que la préservation du patrimoine historique est une mission d’État. Le patrimoine ne doit pas être transféré, sauf exception. Cela mérite un examen au cas par cas très attentif.

Dans votre région, le Nord – Pas-de-Calais, la construction du Louvre-Lens a démarré. Suivez-vous de près ce dossier ?
Oui, j’en suis même un peu à l’origine. Je vais quitter mes fonctions au conseil régional du Nord – Pas-de-Calais, mais, en tant que conseiller, je me suis employé à convaincre le président de la République de l’époque, Jacques Chirac, le Premier ministre M. Raffarin, et le ministre de la Culture M. Donnedieu de Vabres, de faire le choix de Lens. J’ai essayé de les convaincre en expliquant que ce serait un choix emblématique et symbolique que de construire sur l’ancien bassin minier la maison du Louvre ; cela aurait un retentissement national et international. Ils ont bien voulu suivre ma suggestion. Le président de la Région, M. Percheron, s’est lui-même beaucoup battu pour arracher cette décision. Maintenant, le projet est sur rails et le Louvre-Lens sera ouvert dans deux ans et demi.

Quelle appréciation portez-vous sur les sept premiers mois de Frédéric Mitterrand passés à la Rue de Valois ?
Je me suis toujours interdit de porter une appréciation sur l’un de mes successeurs à la tête de ce ministère. Ceci étant posé, Frédéric Mitterrand est un ami, très proche, je l’aime beaucoup. L’attitude qui est la sienne vis-à-vis du monde de la culture est positive, intelligente, généreuse et ouverte. Mon appréciation est extrêmement chaleureuse. C’est un homme de grandes qualités morales et intellectuelles et le président a eu raison de le choisir.

Vous avez visité le 37e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême [Charente] le 29 janvier. Comment avez-vous trouvé cette édition ?
C’est un festival qui explose de vigueur et de finesse. Je suis un fidèle d’Angoulême depuis le tout début. Comme ministre, j’ai souhaité reconnaître la bande dessinée en tant qu’art à part entière. Avec François Mitterrand, nous avons créé le Centre national de la bande dessinée à Angoulême. Aujourd’hui, ce festival présente des expositions de toute beauté. C’est un événement qui mêle la bande dessinée avec d’autres arts, notamment la musique. C’est vraiment impressionnant.

Une exposition vous a-t-elle particulièrement marqué dernièrement ?
D’abord Boltanski, dont nous avons déjà parlé. Ensuite l’exposition « Soulages » (1), au Centre Pompidou, permet de découvrir des œuvres extraordinaires. J’ai été bouleversé par cette exposition et notamment par la découverte de ses toutes premières œuvres. J’ai aussi visité deux expositions hélas terminées, « De Byzance à Istanbul », au Grand Palais, qui permettait de découvrir des trésors assez rares. L’autre exposition qui m’a enthousiasmé est celle qui a été consacrée par le Musée Guimet au Bhoutan. On pouvait voir des œuvres religieuses de toute beauté, qui viennent de monastères souvent inaccessibles.
 
Ceux qui s’intéressent à cette partie du monde, connue parfois pas même des habitants de la capitale du Bhoutan, pourront voir cette exposition à Cologne, en Allemagne (2). C’était une exposition exceptionnelle, dans un musée [Guimet] exceptionnel, lui-même dirigé par une équipe exceptionnelle. J’ai aussi vu beaucoup d’autres choses, notamment l’œuvre qu’Henri Loyrette, le président-directeur du Louvre, a commandé à François Morellet. Son ensemble de vitraux qui se trouve dans un escalier de l’aile Richelieu est une très belle réussite. C’est un travail sur le plan, sur la lumière. C’est à la fois rigoureux et magique. Sinon, dans un autre genre, j’ai aussi été touché par la pièce que jouent actuellement Éric Cantona et Lorànt Deutsch au Théâtre Marigny (3).

(1) jusqu’au 8 mars.

(2) Musée d’art asiatique, du 20 février au 23 mai.

(3) Face au paradis, de Nathalie Saugeon.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°318 du 5 février 2010, avec le titre suivant : L'actualité vue par Jack Lang, ancien ministre de la Culture de François Mitterrand - 'Le patrimoine ne doit pas être transféré, sauf exception'

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