Le musée de Lille joue l’Arlésienne

Un projet véritablement pharaonique

Le Journal des Arts

Le 1 avril 1996 - 799 mots

Annoncée pour juin, puis pour la fin de cette année, la réouverture du Musée des beaux-arts de Lille est une nouvelle fois retardée et reportée au début de 1997. Après cinq ans de fermeture pour rénovation et extension, le coût du chantier atteindrait désormais 300 millions de francs. La Ville assure qu’il n’y a pas eu de dérapage. Il lui faudra désormais trouver des recettes pour faire fonctionner un équipement qualifié de pharaonique… et devenu beaucoup plus onéreux.

LILLE - En 1991, les musées de Valenciennes et de Lille fermaient leurs portes presque simultanément pour une modernisation méritée. Le premier a rouvert l’an passé. Le second a vu son inauguration sans cesse repoussée depuis 1995. Il devrait finalement, assure-t-on auprès du maire de Lille, être rouvert en janvier ou février 1997. Mais ni le conservateur du musée de Lille, Arnaud Brejon de Lavergnée, ni la Direc­tion des Musées de France n’ont voulu s’exprimer sur le sujet.

Ce retard s’explique, selon Jackie Buffin, adjoint municipal à la Culture, "par les difficultés et les erreurs de certaines entreprises sur le chantier, par des problèmes inattendus comme les travaux en sous-sol gênés par la proximité de la nappe phréatique". De surcroît, "il ne s’agit pas d’une simple rénovation mais d’une extension. Il n’y a pas eu de dérapage budgétaire", tempête l’adjoint au maire, très critiquée par l’opposition locale sur ce point.

Une première tranche de travaux, muséographiques pour l’essentiel, s’est élevée à 167 millions de francs hors taxes, dont 67,5 millions à la charge de l’État, 53 de la Ville, 30 de la Région et 16,7 du Département. "Certains travaux ne figuraient pas dans l’opération confiée aux architectes, tel l’aménagement d’espaces de stockage d’œuvres et de bureaux provisoires", reconnaît Jackie Buffin.

Étranges oublis, comme ceux du déménagement des œuvres et de leur stockage, ou encore la restauration des serrures, des vitraux…, qui auront ainsi coûté près de 20 millions de francs supplémentaires, à la charge exclusive de la commune.

Programme muséographique complété
Mais le retard du chantier et l’alourdissement de sa facture proviennent surtout de la volonté de la Ville de compléter le programme muséographique des architectes Jean-Marc Ibos et Myrto Vitart, sélectionnés en 1990 au terme d’une consultation internationale, afin de porter le nouvel établissement aux normes internationales.

"Encouragée par le ministère, la Ville a décidé d’ajouter au programme quelques prestations an­nexes (…) infiniment souhaitables pour faire de ce lieu un centre culturel de pointe, attractif pour tous les publics (…) qui pourrait ainsi prétendre au développement touristique international que justifient ses richesses artistiques et architecturales", déclarait Jackie Buffin lors du conseil municipal du 18 décembre. Cette seconde tran­che, votée par la Ville dé­but 1995, sera supportée dans des proportions identiques par les mêmes partenaires que la pre­mière ; néanmoins, elle impose une rallonge de 13 millions hors taxes aux finances lilloises.

À terme, l’investissement total pourrait atteindre 300 millions de francs. Certains, dans l’opposition municipale notamment, parlent de gabegie financière. Le futur Palais des beaux-arts développera cependant près de 22 000 m2, soit l’équivalent du Musée d’Orsay. Le prix du mètre carré serait, certes, le double de celui de Valenciennes, mais comparable à celui de Grenoble et bien inférieur à celui de son homologue lyonnais…

En définitive, c’est davantage le projet global de rénovation, de sa conception à sa finition, que la question du coût qui pêche par manque de conviction et de cohérence. Comment, en effet, a-t-on pu envisager si tardivement et considérer comme "prestations annexes" l’aménagement des jardins, l’éclairage des façades, l’équipement de l’auditorium et du restaurant, l’achat de mobilier divers et d’équipements de sécurité… ? Des éléments pourtant "souhaitables", voire indispensables ! Pourquoi, enfin, budgéter séparément la restauration des œuvres – Plans-reliefs compris – (15 millions de francs), les commandes contemporaines à Paolini et Pesce (4 millions), la signalétique (3 millions), si ce n’est pour minorer un budget global qui a sérieusement enflé ? Ces derniers postes se trouvent quant à eux relégués en "travaux complémentaires".

Inquiétudes pour le financement et le fonctionnement
Au-delà de l’investissement, la véritable inquiétude tient désormais au fonctionnement et au financement d’un tel navire culturel ancré en Nord-Pas-de-Calais, région en difficulté. "Ce projet est véritablement pharaonique, convient Roger Barrié, directeur régional des Affaires culturelles. Les pouvoirs locaux, déjà asphyxiés par l’investissement, auront peine à le faire fonctionner".

À l’Hôtel de Ville, Jackie Buffin acquiesce : "Nous évaluons le budget de fonctionnement du musée rénové à 24 millions de francs l’an, contre 17 avant sa fermeture". Ce chiffre ne comprend pas un franc pour financer des acquisitions et des expositions temporaires. Emportés par la vague de rénovation, les collectivités territoriales et la Direction des Musées de France – qui, après Calais et Roubaix, planche sur les chantiers d’Arras, de Saint-Omer et de Béthune – verraient-elles trop grand et s’apprêteraient-elles à affronter des jours difficiles ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°24 du 1 avril 1996, avec le titre suivant : Le musée de Lille joue l’Arlésienne

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