En mal d’immortalité

De la fondation au musée

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 1 mai 1996 - 496 mots

C’est en particulier pour favoriser la reconnaissance de la photographie par les musées et entériner celle de son œuvre, que Robert Mapplethorpe a créé une fondation en mai 1988, un an avant sa mort.

Dans une rue de Soho à New York, au quatrième étage d’un immeuble de bureaux et de galeries, la Fondation Robert Mapplethorpe occupe un local confortable. La bibliothèque, avec ses livres, ses coffrets noirs sagement rangés sur des étagères, offre l’aspect d’une maison où tout est répertorié et bien géré. Seules les étiquettes sur les classeurs contenant les épreuves de lecture rappellent l’univers de Mapplethorpe : "Black Males", "White Males", "Sex", "Women", "Flowers"… Mais les précieux négatifs, au nombre de 120 000, ne sont pas là. Ils sont stockés dans un coffre-fort, inattaquable par le feu ou l’eau.

Cette fondation, voulue par Mapplethorpe, a pour vocation "en priorité, d’aider des musées et des institutions publiques à la création ou l’expansion de départements consacrés à la photographie". Sa charte précise en revanche qu’aucune "bourse ou subvention ne sera accordée à des photographes individuels". "Robert Mapplethorpe voulait assurer la promotion de la photographie au niveau muséal, explique l’avocat Michael Stout, qui préside The Robert Mapplethorpe Foundation, Inc. Il avait vu juste ; peu de musées collectionnaient la photo, ils s’y sont mis depuis".

Conforter l’image de l’artiste au-delà des scandales
Cette reconnaissance s’est notamment traduite par une première pour un photographe : l’ouverture d’une "Robert Mapplethorpe Gallery" au sein de l’un des plus prestigieux musées new-yorkais, le Guggenheim. Celui-ci a été gratifié d’une importante donation, 2 millions de dollars cash et l’équivalent de 3 millions de dollars en œuvres. Mais le Whitney, la National Gallery de Washington, le San Francisco MoMa ont eux aussi bénéficié de largesses. En jouant la carte institutionnelle plutôt que celle du soutien à de jeunes photographes, la fondation veut conforter l’image de l’artiste au-delà des scandales et des procès qu’ont déclenchés ses expositions.

Son autre grande mission est d’aider la recherche médicale contre le sida : création d’un laboratoire à la Harvard Medical School, financement d’une résidence accueillant les malades, versement d’un million de dollars sur trois ans à l’AmFAR (American Foundation for Aides Research).
 
Face à ces dépenses, la fondation a encaissé l’an dernier 800 000 dollars en produits dérivés (livres, calendriers, posters…) et 400 000 dollars de vente de tirages. Celle-ci avait hérité de 12 000 "vintages", mais elle se réserve le droit de réaliser de nouveaux tirages. "À partir de ses contacts, Robert Mapplethorpe avait retenu 2 000 images, pour lesquelles il avait déterminé un nombre limité de tirages. Lorsque ce nombre n’est pas atteint, nous pouvons compléter la série en le stipulant clairement", souligne Michael Stout.

Robert Mapplethorpe, qui présidait la fondation de son vivant, avait choisi lui-même les membres du conseil d’administration, parmi lesquels son assistant et son amie photographe Lynn Davis. Mais elle n’a pas été créée "pour l’éternité, précise Michael Stout, seulement pour une vingtaine d’années. Alors nous disperserons la collection…"

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°25 du 1 mai 1996, avec le titre suivant : En mal d’immortalité

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque