Patrimoine

Françoise Choay, Le Patrimoine en questions, anthologie pour un combat, Nathalie Heinich, La Fabrique du patrimoine, de la cathédrale à la petite cuillère, publication du ministère de la Culture

Quête de sens

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 19 janvier 2010 - 504 mots

Une anthologie et une enquête sociologique interrogent la notion de patrimoine et l’élargissement de son champ

En ces temps où le corpus réglementaire du patrimoine est dans la tourmente, il n’est jamais inutile de revenir aux fondamentaux. C’est ce que propose Françoise Choay avec une nouvelle publication, Le Patrimoine en questions, dix-huit ans après la parution de sa fameuse Allégorie du patrimoine (Seuil, 1992), qui dénonçait les dérives du culte du patrimoine et notamment sa muséification. Dans la lignée de l’historien de l’art autrichien Alois Riegl (1858-1905), dont elle se réclame, l’historienne des formes urbaines s’attache d’abord à clarifier le vocable. Si le monument est un « dispositif mémoriel intentionnel », écrit Françoise Choay, le monument historique, qui « ne s’adresse pas à la mémoire vivante », « a été choisi dans un corpus d’édifices préexistants en raison de sa valeur pour l’histoire et ou sa valeur esthétique ».

Deux termes qui ont été supplantés à partir des années 1960 par le mot patrimoine, « bien d’héritage », dans lequel Françoise Choay voit une dimension économique à une époque où la culture commence à devenir objet de consommation. L’ouvrage étant d’abord une anthologie, l’auteur y a réuni des textes fondateurs, de l’abbé Suger aux chartes de l’Unesco – dont elle est la plus vigoureuse contemptrice –, en passant par Hugo ou Ruskin. Ce corpus ne constitue toutefois pas une histoire factuelle du patrimoine, mais une sélection relevant de partis pris assumés. Le savoureux appareil critique ne manque pas de souligner certains paradoxes, comme lorsque Pie II (1405-1464) édicte une bulle pontificale en faveur de la protection des monuments antiques de Rome, alors que ses chantiers sont alimentés par des vestiges prélevés dans les ruines du port d’Ostie ou de la villa Hadriana… D’autres figures sont égratignées, tel André Malraux, dont Françoise Choay souligne « la naïveté et l’ignorance en matière de patrimoine bâti et d’architecture ».

La sociologue Nathalie Heinich prolonge cette réflexion sur le champ patrimonial dans un registre différent. Son ouvrage, La Fabrique du patrimoine, se fixe un objectif précis : décrire les différentes étapes de la chaîne patrimoniale afin de comprendre comment un artefact acquiert son statut patrimonial. Fruit d’enquêtes de terrain, menées notamment auprès des chercheurs des services de l’Inventaire dont les témoignages agrémentent l’ouvrage, la sociologue s’interroge sur les critères de choix. Plus que la beauté – subjective –, ceux-ci privilégient d’abord l’authenticité et la rareté, quitte à inclure des éléments très éloignés de l’art, comme la borne Michelin figurant en couverture de l’ouvrage. « Le monument est devenu patrimoine en même temps que l’art devenait culture, écrit Nathalie Heinich. C’est au prix de cette perte de sélectivité qu’on a gagné en extension spectaculaire du corpus. »

FRANÇOISE CHOAY, LE PATRIMOINE EN QUESTIONS, ANTHOLOGIE POUR UN COMBAT, éd. du Seuil, 220 p., 20 euros, ISBN 978-2-0210-0494-6

NATHALIE HEINICH, LA FABRIQUE DU PATRIMOINE, DE LA CATHÉDRALE À LA PETITE CUILLÈRE, publication du ministère de la Culture, éd. de la Maison des sciences de l’homme, 288 p., 21 euros, ISBN 978-2-7351-1264-7

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°317 du 22 janvier 2010, avec le titre suivant : Françoise Choay, <em>Le Patrimoine en questions, anthologie pour un combat,</em> Nathalie Heinich, <em>La Fabrique du patrimoine, de la cathédrale à la petite cuillère, publication du ministère de la Culture</em>

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