Cinéma

Fellini s’expose

Le Jeu de paume à Paris s’est lancé dans le défi de retracer la carrière du réalisateur de la « Dolce Vita », près de cinquante ans après la sortie du film

Le Journal des Arts

Le 5 janvier 2010 - 703 mots

PARIS - Grâce à « Fellini, la grande parade », présentée au Jeu de paume, à Paris, l’œuvre de Fellini entre au musée, alors même que l’art paraît se confondre avec l’histoire culturelle ou le fait de société.

Il n’est pas sûr que dans cet hybride restent beaucoup de choses du cinéma comme de l’art. Mais il se pourrait que quelque chose de nouveau en sorte, comme une « circulation des images », d’après le commissaire de l’exposition, Sam Stourdzé. Ce processus permet des allers et retours entre médiums : photographies ; extraits vidéo de films de Fellini ou de documentaires sur lui (lesquels sont projetés, « accrochés » au mur, ou « emboîtés » dans des socles posés par terre) ; dessins ; reproductions du Livre des rêves tenu par Fellini à partir de 1960 ; magazines ; affiches et albums de presse de La Dolce Vita.
 
La manifestation propose quatre axes majeurs : le rapport de Fellini à la culture populaire ; ses méthodes de travail ; les figures féminines ; l’aspect biographique et autobiographique, cela en gardant à l’esprit la porosité explorée par Fellini entre réalité et fiction, entre cinéma et société.
 
Une grande affiche de La Dolce Vita ouvre le parcours : s’apprêtant à fêter son cinquantenaire, le film assure le piédestal d’un monument au créateur. Mais l’accent est plutôt mis sur le rapport privilégié que Fellini entretient avec la culture populaire. Le premier extrait projeté montre la naissance d’une vedette, « Liliana » dans Les Feux du music-hall, même si cette scène dit l’influence de Lattuada, co-réalisateur du film, toujours sensible à la figure de la femme séductrice (l’actrice, Carla Del Poggio, était d’ailleurs sa femme).

Que ce soit la culture populaire ou l’attention réservée aux femmes, la partialité toute spectaculaire de l’exposition tend à cacher les tensions internes à l’œuvre, en faisant du réalisateur le chantre d’une société en voie de modernisation mais encore imprégnée de traditionalisme. Cependant, l’omniprésence de la pulsion de mort, la tristesse (chaplinienne) qui hante le monde du spectacle, l’ambiguïté politique, le spiritualisme, un certain moralisme et quelques aspects ouvertement réactionnaires (notamment par rapport aux femmes) s’y trouvent gommés au profit de la « liberté » du réalisateur. Par ailleurs, la clé de l’art fellinien se perd quelque peu : la distance qui sépare les films de Fellini des documents de son « laboratoire » risque de demeurer un abîme infranchissable. Les collaborateurs n’y tiennent qu’une place minime, et surtout les producteurs sont absents de l’exposition, alors même que le cinéma de Fellini est exemplaire d’un mélange étonnant entre art et industrie. Plus intéressante et originale, la question de « l’invention biographique » ne trouve qu’une place réduite et en fin de parcours. Au hasard des salles, le visiteur relève pourtant des détails intéressants, de la bande-annonce française de La Dolce Vita aux publicités tournées par Fellini, de la comparaison des affiches de Fellini Roma aux photos qui témoignent du rapport aux acteurs.

Une exposition de photographies
Dès lors, cette exposition entend convoquer une multitude de documents afin de tracer un catalogue de thèmes et motifs, et suivre la circulation de ces motifs d’un médium à l’autre. Rien ne démontre pourtant l’originalité de Fellini de ce point de vue, on touche même là quelque chose de tout à fait commun à la pratique du cinéma de fiction en général.
 
« Fellini, la grande parade » est d’abord une exposition de photographies, parfois très belles, souvent publicitaires ; les extraits des films, surtout ceux de Fellini, ne représentent pour la plupart que des preuves à l’appui. Nous demeurons à mi-chemin entre l’hagiographie et la tentative de rentrer dans le laboratoire de l’« artiste », alors que le laboratoire échoué de l’exposition « Voyage(s) en utopie » (1) de Godard, deux fois raté (par le musée et par le réalisateur), en conservait néanmoins l’aspect inachevé et chaotique. Le grand cirque du Jeu de paume ne s’envole plus sur la piste, mais se limite à fournir des éléments de la genèse des films ; le musée devient l’archive, trop lisse, d’une création dont les clés nous échappent de toute façon. Il peut nous épater, il ne nous enchante pas.

(1) Centre Pompidou, Paris, 2006.

FELLINI

Commissaire : Sam Stourdzé, directeur du Musée de l’Élysée à Lausanne

FELLINI, LA GRANDE PARADE, jusqu’au 17 janvier, Jeu de paume, site Concorde, 1, place de la Concorde, 75008 Paris, tél. 01 47 03 12 50, tlj sauf lun., mardi-vendredi 12h-19h, sam.-dim. 10h-19h, www.jeudepaume.org.
Organisée dans le cadre de l’événement « Tutto Fellini », tout le programme sur www.tuttofellini.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°316 du 8 janvier 2010, avec le titre suivant : Fellini s’expose

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque