Art non occidental

Identité

Au nom d’Abomey

Travaillant autour de questions d’attribution, le Musée du quai Branly révèle les œuvres des artistes d’Abomey, ancien royaume de l’actuel Bénin

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 5 janvier 2010 - 701 mots

PARIS - « L’art africain est anonyme. » Partant de ce constat, Gaëlle Beaujean, responsable des collections Afrique au Musée du quai Branly, a apporté sa contribution au travail de ces historiens qui, depuis une cinquantaine d’années, s’attachent à identifier les auteurs d’objets dont on ne connaît souvent que les qualités esthétiques, les fonctions rituelles ou le lieu d’origine.

L’institution parisienne met aujourd’hui en lumière les artistes du royaume d’Abomey (ou « Danhomè ») – du nom de sa capitale –, situé au centre et au sud de l’actuel Bénin. Les dynasties des rois s’y étaient attaché les services de familles d’artistes qui ont élaboré des œuvres destinées à honorer les ancêtres, à renforcer les liens sociaux, et à exalter la puissance du royaume.

Raconter l’histoire
Dix palais royaux (aujourd’hui classés au patrimoine mondial de l’Unesco) ont été édifiés entre le règne du premier roi Houegbadja (1645-1685) et celui d’Agoli-Agbo (1894-1900). À l’instar des résidences ministérielles, les ateliers d’artistes étaient installés aux alentours de ces palais. Les artistes de cours jouissaient en effet d’un statut particulier, les pièces qu’ils produisaient remplissant une fonction au sein des différents lieux du palais, salles du trésor et du trône, maison du devin. Les artistes participaient aussi à la décoration de l’architecture. Ils élaboraient des bas-reliefs en terre, sorte de décorations narratives destinées à transmettre les grands épisodes de l’histoire du royaume depuis sa création jusqu’à la colonisation à la fin du XIXe siècle, venant ainsi compléter la transmission orale. Ainsi Jérôme Alladayé, maître de conférences à l’université d’Abomey-Calavi, dépeint-il dans le catalogue les artistes de la cour d’Abomey comme de « véritables historiens de l’oralité ».
 
Pour compléter les travaux déjà réalisés dans les années 1950, le Quai Branly s’est lancé dans une vaste entreprise d’attribution des œuvres. Parmi les artistes de référence, citons Likohin Kankanhau Sossa Dede, auteur de la statue représentant le roi Glèlè mi-homme, mi-lion (1858-1889). Il aurait peut-être également réalisé un personnage similaire, mi-homme mi-poisson (1890-1892), à moins que la pièce ne provienne de l’atelier de la famille Houeglo… Sculpture de métal et de bois (vers 1860), l’œuvre d’Ekplékendo Akati, considérée par l’ancien Musée d’ethnographie du Trocadéro comme un chef-d’œuvre de l’art africain, a quant à elle été attribuée à l’artiste seulement dans les années 1980. Dosage subtil entre textes pédagogiques et explications orales fournies par des bornes disposées à côté des œuvres, la présentation multiplie les points de vue pour offrir un parcours dynamique et résolument didactique. Ce parti pris n’altère en rien la rencontre directe avec les œuvres, sculptures de bois, textiles, bronzes, poteries, pièces de vannerie, sans oublier les danses rituelles et cérémonielles, éléments essentiels de la culture d’Abomey présents à travers des films. L’ensemble dévoile un art aux influences multiples, celles des autres royaumes du Bénin, Yoruba ou Bariba, mais aussi des Européens présents sur les côtes dès le XVIIIe siècle.

Ligne « anticolonialiste »
La mezzanine du Quai Branly met également à l’honneur la revue Présence africaine, fondée en 1947 par le Sénégalais Alioune Diop en collaboration avec plusieurs intellectuels africains et le soutien de Jean-Paul Sartre et d’André Gide. Le parcours retrace la genèse, les premières années d’existence et les combats menés par cette revue à la ligne éditoriale « antiraciste, anticolonialiste ». Judicieusement mis en exergue, les nombreux documents (archives, écrits administratifs, photographies, dessins, documentaires audiovisuels et sonores) évoquent de grands mouvements comme le panafricanisme, The New Negro, les Black Panthers ou la négritude – fondée en 1930 par Léon Damas, Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire. Les paroles que le poète a prononcées en 1966 au premier Festival mondial des Arts nègres à Dakar résonnent dans les espaces de cette passionnante démonstration : « Si nous avons tellement haï le colonialisme, si nous l’avons tellement combattu, c’est sans doute parce que nous avions conscience qu’il nous mutilait, qu’il nous humiliait, qu’il nous séparait de nous-mêmes et que cette séparation était intolérable : mais c’est aussi parce que nous savions qu’elle nous séparait du monde, qu’elle nous séparait de l’homme, de tous les hommes, y compris de l’homme blanc, bref qu’elle nous séparait de notre frère. »

ARTISTES D’ABOMEY
Commissaire : Gaëlle Beaujean, responsable des collections Afrique au Musée du quai Branly
Nombre d’œuvres : 52

ARTISTES D’ABOMEY, jusqu’au 31 janvier, Musée du quai Branly, 37, quai Branly, 75007 Paris, tél. 01 56 61 70 00, www.quaibranly.fr, tlj sauf lundi, 11h-19h, 11h-21h le jeudi, vendredi et samedi.
Catalogue, éd. Fondation Zinsou, Cotonou, Bénin, 346 p., 38 euros. À lire également : le numéro 10 de la revue Gradhiva, numéro spécial « Présence africaine », 240 p., 20 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°316 du 8 janvier 2010, avec le titre suivant : Au nom d’Abomey

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