Soierie lyonnaise : l’art et la matière

Mutations technologiques plus que renouveau de la créativité

Le Journal des Arts

Le 1 mai 1996 - 523 mots

Alors que les métiers du meuble ou du design se sont renouvelés en faisant appel à des artistes et à des créateurs de renom, la soierie lyonnaise demeure traditionnelle. Il fut pourtant un temps où Raoul Dufy collaborait avec Bianchini-Férier, la vénérable maison centenaire. Mais l’appel à des artistes semble aujourd’hui impossible : la survie des soyeux passe par une modernisation technologique plus que par un renouvellement des formes.

LYON (de notre correspondant) - Le mythe de la soie artisanale lyonnaise a la vie dure. Pourtant, le métier a beaucoup changé, et la plupart des entreprises familiales ont fermé ou ont été rachetées. Celles qui survivent ont connu des bouleversements radicaux. Bian­chini-Férier, au patronyme aussi chatoyant qu’une étoffe de luxe, n’échappe pas à la règle.

Acculée au milieu des années quatre-vingt à la faillite, l’entreprise familiale doit sa survie à son patrimoine immobilier, prestement vendu pour faire face aux échéances. Des ateliers bourdonnants et du charme des vieilles bâtisses, il ne reste rien. Seule une plaque à l’en-tête ourlée comme une broderie a été conservée, vestige dérisoire apposé sur un bâtiment neuf et sans âme. C’est à ce prix que l’entreprise n’a pas fermé ses portes.

"Nous ne pouvons malheureusement pas tout faire en même temps. Dans l’immédiat, il faut assurer la pérennité de l’entreprise", souligne le responsable des collections chez Bianchini-Férier. "Nous parions sur l’innovation technologique plus que sur la créativité. La priorité est au renouvellement des machines et à l’utilisation de la PAO". Les cartons des métiers à tisser sont peu à peu remplacés par des disquettes informatiques, et "chaque année, des savoir-faire ancestraux disparaissent".

Deux collections par an
Bianchini-Férier propose deux collections par an. Chaque saison, 70 à 150 modèles, eux-mêmes déclinés en plusieurs variantes – couleurs, tissus –, sont proposés aux couturiers. "Nous avons un bureau de style intégré, mais pas de collaboration avec des créateurs ou des artistes contemporains". "La relance de la fabrication de cravates dessinées par Raoul Dufy demeure une activité marginale".

Deux collections par an supposent un très fort taux de rotation des modèles. Il est impératif de minimiser les coûts de création, et l’appel à un artiste réputé est peu envisageable. Car en plus du surcoût dû à sa notoriété, l’artiste devrait s’adapter à des contraintes techniques importantes – nombre de couleurs, clarté du dessin – pour une "œuvre" qui disparaîtra à la fin de la saison. Pour les soyeux, le dessin est soumis au produit, tout comme la forme dépend de la fonction en matière de design.

Recycler sans cesse
Capter l’œil de l’acheteur devient donc primordial, et le nom du dessinateur secondaire, dans cette industrie qui fournit de la matière première à des couturiers. "Quand un modèle les intéresse, nous le mettons en production. L’acheteur a alors la garantie de l’exclusivité". Pour concevoir autant de modèles par an, la maison vit sur ses archives, qui sont régulièrement consultées en séances de "brain-storming". "Quand nous regardons un album de 1890, nous imaginons des utilisations différentes. En fait, nous recyclons sans cesse et créons par ajouts successifs".

Les soyeux n’ont plus les moyens d’investir dans la création en espérant un retour sur investissement un siècle plus tard…

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°25 du 1 mai 1996, avec le titre suivant : Soierie lyonnaise : l’art et la matière

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