La rénovation du British Museum à cœur ouvert

Pour son directeur, Robert Anderson, la Reading Room deviendra le centre névralgique du musée

Le Journal des Arts

Le 1 mai 1996 - 1543 mots

La Millenium Commission, l’un des trois organismes britanniques chargés de répartir, dans le domaine des beaux-arts, l’argent de la Loterie nationale, a annoncé fin février que le British Museum recevrait 30 millions de livres (232,5 millions de francs). Cette décision, longuement attendue, devrait permettre aux travaux de rénovation et d’extension du musée de commencer en 1998. Son département du Développement a déjà collecté plus de 21 millions de livres de fonds privés (163 millions de francs), sur les 72 millions de livres (558 millions de francs) que devrait coûter la réalisation du projet de l’architecte Norman Foster, dont Robert Anderson, directeur du British Museum, présente ici les grandes lignes : la Grande cour (Great Courtyard) sera recouverte, tandis que la célèbre Salle de lecture (Reading Room) deviendra le centre névralgique du musée londonien.

En quoi le futur British Museum différera-t-il de l’actuel musée ?
Robert Anderson : Nous ac­cueillons actuellement plus de six millions de visiteurs par an dans un bâtiment qui avait été prévu pour en recevoir 50 000 ou 100 000 à l’époque où Smirke l’a dessiné, dans les années 1820. Les deux aspects les plus importants de notre projet sont les suivants : nous allons offrir davantage de salles d’exposition et présenter nos collections, qui se sont considérablement enrichies depuis la création du musée, dans de meilleures conditions. De plus, nous pourrons de nouveau accueillir le Museum of Mankind, exilé à Burlington Gardens depuis 1970. Le département d’Ethnographie avait dû quitter nos murs faute d’espace, mais d’un point de vue muséographique, présenter séparément l’ethnographie n’a aucun sens. À l’avenir, le public pourra découvrir sous le même toit les cultures du monde entier, et les différents départements profiteront également de cette synergie nouvelle. Quelques-unes des absurdités actuelles pourront ainsi être éliminées – le fait, par exemple, que les départements d’Ethnographie et d’Antiquités orientales possèdent tous deux des œuvres d’Extrême-Orient –, et les conservateurs auront enfin la possibilité de communiquer plus facilement entre eux.

Quelles sont les caractéristiques du projet de Norman Foster ?
J’apprécie particulièrement la clarté avec laquelle Norman Foster a traité les problèmes que nous lui avions posés. Notre propos est, littéralement, d’ouvrir le cœur du musée. Le British Museum a été construit autour d’un immense quadrilatère, la Grande cour, fermée au public sept ans après son achèvement pour accueillir en son centre la fameuse Salle de lecture circulaire. Après la démolition des bibliothèques placées dans les angles, la Grande cour retrouvera son dessin initial. Autour de la Salle de lecture proprement dite, naturellement conservée, Foster a dessiné une structure ovale où nous pourrons aménager un restaurant et des boutiques, aussi bien que des espaces d’exposition. La rampe qui s’enroule autour de la Salle de lecture conduira le public aux étages supérieurs. Le sous-sol accueillera un Centre éducatif, avec deux salles de conférence modulables, où se tiendront des cours et des séminaires, et toutes activités de ce type qu’il nous est impossible de mener à bien actuellement. Il est tout à fait étonnant que le British Museum ne dispose aujourd’hui que d’une seule salle de conférence de deux cents places, aménagée de surcroît dans un espace qui n’a pas été conçu initialement à cet effet. Le besoin de nouvelles structures à vocation pédagogique est une nécessité absolue.

Allez-vous créer un parcours plus cohérent à travers les collections ?
Je crois que dans un musée de la taille du British Museum, il est impossible de tracer un parcours rigoureusement cohérent, depuis le paléolithique jusqu’à la céramique contemporaine. C’est irréalisable. Du moins, le projet de Foster va-t-il nous permettre de faciliter la découverte du musée. Les visiteurs n’auront plus, par exemple, à traverser les Antiquités grecques et romaines pour atteindre les collections d’Art chinois. De la Grande cour, ils pourront se diriger là où ils le souhaitent après s’être adressés au Centre d’information – situé au cœur de la Salle de lecture –, qui les orientera et les renseignera sur les expositions temporaires, tout comme le matériel informatique mis à leur disposition.

À quels départements profiteront les espaces nouvellement gagnés ?
Il ne faut pas s’attendre à une augmentation spectaculaire de la surface d’exposition. La majeure partie des espaces transformés en salles d’exposition sera occupée par le Museum of Mankind. Ses salles ethnographiques se déploieront dans une partie de la Bibliothèque Nord, dans les espaces utilisés par la British Library, dans l’aile nord de la cour Smirke, ainsi qu’au sous-sol de la Grande cour. Nous ne connaissons pas encore exactement la répartition des espaces disponibles, mais j’aimerais que tous les départements qui manquent de place pour déployer leurs collections puissent en profiter. Nous pourrions ainsi ouvrir, pour la première fois, une salle d’Art iranien.

À quelles sortes de changement faut-il s’attendre en termes de muséographie ?
La priorité des années à venir sera l’aménagement de la Grande cour, puis ce sera au tour des salles qui l’entourent d’être réaménagées, à des degrés divers. Les principales modifications affecteront les espaces actuellement occupées par la British Library, tels ceux de la King’s Library, qui occupe l’essentiel du côté est du quadrilatère et abrite les livres de la bibliothèque du roi George III. Après le déménagement de la British Library dans son nouveau bâtiment de St. Pancras (lire le JdA n° 12, mars 1995), cet espace sera consacré à la culture au temps de George III. Une exposition permanente posera la question de "la collection" et de la classification du savoir, depuis la fondation du British Museum jusqu’à la fin du règne de George III, soit de 1753 aux années 1820. La salle actuellement occupée par les manuscrits de la British Library sera transformée en une grande salle de sculpture classique. L’angle sud-est du musée accueillera le nouveau département des Estampes et des Dessins.

Ces parties du bâtiment seront donc complètement remaniées, mais je pense toutefois qu’un musée ne doit pas entreprendre de front toute une série de "révolutions". Réaménager une salle est tout aussi délicat qu’en ouvrir une nouvelle. Prenez par exemple les galeries grecques et romaines : elles ont été maltraitées dans les années soixante – une période catastrophique pour l’architecture du British Museum –, et nous envisageons de revenir à l’aménagement originel de Smirke. Nous avons déjà réaménagé la salle consacrée à la Grèce hellénistique, qui a rouvert en juillet 1995 ; c’est la première phase du redéploiement des collections grecques et romaines. Autre remaniement réussi, la Hotung Chinese and Indian Gallery qui connaît un grand succès depuis son ouverture, en novembre 1992.

Comment les collections seront-elles présentées au sein de chaque département ? Chronologiquement ou thématiquement ?
Je pense que, dans le cadre d’un parcours chronologique général à respecter, il nous faudra prévoir certains regroupements thématiques pour aider à mieux saisir les relations entre certains ensembles. Depuis dix ou quinze ans déjà, nous cherchons à introduire et à confronter des objets qui entretiennent des rapports réciproques.

Selon quels critères ? Icono­graphiques, esthétiques, techniques ?
Le seul grand département qui sera totalement repensé sera celui d’Ethnographie, puisque son retour nous permet de repartir de zéro. Nous le traiterons "continent par continent". Comme nous avons déjà commencé à le faire pour l’Amérique du Nord, en inaugurant une salle mexicaine en novem­bre 1994, et en obtenant des fonds de la Chase Manhattan Bank pour l’ouverture d’une salle nord-américaine en 1997. Une fois que la British Library aura libéré les espaces qu’elle occupe, nous y installerons des salles consacrées à l’Afrique, au Pacifique et à l’Extrême-Orient.

Les transformations vous permettront-elles de présenter des pièces restées jusque-là dans les réserves ?
Pour l’Ethnographie, c’est certain, car nous disposerons de beaucoup plus d’espace. Mais, dans l’ensemble, la proportion d’objets exposés sera sensiblement la même ; une bonne partie des collections demeurera à jamais dans les réserves. Cependant, nous veillerons à ce que les œuvres qui y sont conservées soient accessibles à ceux qui désirent les étudier .

Allez-vous ouvrir le British Museum au XXe siècle ?
Oui, pour la première fois, une salle exposera en permanence des œuvres du XXe siècle. Après tout, nous allons bientôt rentrer dans le XXIe siècle, et nous avons récemment aménagé une salle pour le XIXe, ce qui ne s’était jamais vu au British Museum. Nous cherchons en permanence à élargir notre champ, mais je pense que nous couvrons aujourd’hui le monde de l’art de manière assez satisfaisante.

En juillet 1994, nous avons ouvert une nouvelle salle Renaissance. Ma spécialité étant l’histoire des sciences, j’aimerais beaucoup qu’une petite salle aborde la Renaissance par le biais de la connaissance scientifique. Le musée possède une très importante collection d’instruments scientifiques, certains d’entre eux sont même uniques au monde. Or, bien qu’ils aient fait l’objet d’un catalogue, ils restent pratiquement inconnus du grand public. C’est pourquoi nous allons nommer, à la fin de cette année, un conservateur pour cette collection d’instruments scientifiques : ce sera une première au British Museum.

Y aura-t-il des modifications apportées à l’extérieur du bâtiment ?
Nous souhaitons réaménager le parvis du musée et nous débarrasser des voitures qui l’encombrent. Il existe une foule de choses qui semblent aller de soi pour l’aménagement des grands édifices publics, mais qui ne font pas l’objet d’attentions particulières avant que l’on ne s’en avise sérieusement : des choses aussi simples que l’installation de bancs confortables ou de corbeilles à papier… Ce mobilier urbain, ainsi qu’un nouveau pavage, devront être soigneusement étudiés et dessinés.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°25 du 1 mai 1996, avec le titre suivant : La rénovation du British Museum à cœur ouvert

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