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Le Centre Pompidou et le passage du siècle

Le Centre Pompidou fermera-t-il ?

Le nouveau président, Jean-Jacques Aillagon, expose ses projets

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 1 mai 1996 - 1627 mots

PARIS

Nommé le 27 mars en conseil des ministres, Jean-Jacques Aillagon est le septième président du Centre Georges Pompidou. Il dresse un état des lieux et expose ses premiers projets : accélération des travaux, fermeture éventuelle, construction d’un nouveau bâtiment, évolution du statut, gratuité, partenariat, place de la photographie…

PARIS - Jean-Jacques Aillagon succède à François Barré, nommé à la tête de la Direction de l’architecture, de nouveau rattachée au ministère de la Culture. Celui qui, durant la campagne présidentielle, avait milité ardemment pour rallier des personnalités du monde culturel à la candidature de Jacques Chirac, reçoit une récompense à la hauteur de son engagement et de ses responsabilités passées.

Âgé de 50 ans, il était précédemment directeur des Affaires culturelles de la Ville de Paris, après avoir été directeur de la Vidéo­thèque de Paris, sous-directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts et administrateur du Musée national d’art moderne. Jean-Jacques Aillagon retrouve donc une maison qu’il connaît de l’intérieur. Le septième président du Centre Pompidou étudie un réaménagement du calendrier des travaux en cours, avec la volonté de les accélérer pour permettre à l’institution de fonctionner au grand complet en l’an 2000. Il envisage même une fermeture "brève" et a d’ores et déjà fixé un jour symbolique pour la réouverture : "la nuit du 31 décembre au 1er janvier 2000".

Il reconnaît qu’au-delà de 2010, "devra être envisagée la question de doter le Centre Pompidou d’un deuxième bâtiment lui permettant de mieux déployer ses collections historiques du XXe". Il réfléchit également à un retour sur la réforme de 1992, qui avait fusionné le Musée national d’art moderne et le Centre de création industrielle.

Enfin, puisque ce numéro du JdA fait grand place à la photographie, il déplore que le Centre Pompidou ne lui consacre que des espaces exigus. "Dans de très brefs délais", la photographie devrait occuper dans le Centre réaménagé "des espaces permanents pour la présentation des collections photographiques, mais aussi pour des expositions. C’est un enjeu fondamental".
 
Le Journal des Arts : Le bâtiment du Centre Pompidou, comme la Piazza, sont en rénovation. Vos premières déclarations ont porté sur une remise en cause du calendrier des travaux.
Jean-Jacques Aillagon : Ce qui m’a frappé en prenant connaissance du calendrier des travaux, c’est que le Centre Pompidou ne serait pas en mesure, au 1er janvier 2000 et pendant toute l’année 2000, de jouir complètement de son bâtiment. J’ai donc demandé à la mission des grands travaux une étude sur un nouveau phasage avec une accélération des travaux permettant de faire fonctionner l’institution au moment du passage du siècle. Elle vient de me remettre une évaluation qui permettrait de bénéficier de l’ouverture des étages supérieurs – ceux consacrés au musée et aux expositions – dès la fin 1999 et durant toute l’année suivante, tout en ne procédant pas à une fermeture totale du Centre, et en particulier de la bibliothèque.
Je m’interroge néanmoins sur la possibilité d’une fermeture brève – deux à trois mois – à la fois pour bien marquer aux yeux du public la rénovation du Centre et son engagement dans une nouvelle étape de son histoire, ainsi que pour faciliter la réinstallation des œuvres et le redéploiement des activités. Si le Centre fermait, je souhaiterais qu’il rouvre d’une manière symbolique, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier 2000. Il faut maintenant vérifier ces hypothèses, et les soumettre à l’autorité de tutelle, le ministre de la Culture. Nous serons en mesure, à la mi-mai, d’annoncer le calendrier définitif des travaux.

Ce nouveau calendrier va-t-il modifier la programmation établie par votre prédécesseur, François Barré ?
A priori non. À cause de l’incertitude du phasage des travaux, François Barré n’avait pris aucune décision de programmation pour l’intérieur du Centre au-delà de 1997. Pour 1998, il s’agit d’un programme hors murs.

Autre interrogation, la mise à disposition d’un bâtiment relais où le Centre Pompidou présenterait la partie historique de ses collections, la partie la plus contemporaine demeurant à Beaubourg ?
Les travaux qui vont être entrepris permettront au Musée national d’art moderne de fonctionner convenablement pendant dix ans au moins. La période 2000-2010 est donc bien assurée. Au-delà, devra être envisagée la question de doter le Centre Pompidou d’un deuxième bâtiment qui lui permettrait de mieux déployer ses collections historiques du XXe. La décision est à la fois culturelle et budgétaire. Elle implique, en effet, un effort d’investissement qui, même s’il est bien maîtrisé, aura un coût.

Comment voyez-vous l’évolution du statut du Centre Pompidou ?
Porter le mandat du président de trois à cinq ans serait une bonne chose, comme de doter l’établissement d’un conseil d’administration. Mais il me semble prioritaire que les réflexions sur le statut portent sur la structure culturelle du Centre. J’ai donc demandé aux différents responsables des départements et des services du Centre de travailler sur certaines questions, comme celle de la permanence de la réunion actuelle du Centre de création industrielle au Musée national d’art moderne. Si l’on envisageait une nouvelle singularisation du Centre de création industrielle, il faudrait mieux déterminer les missions d’un département se consacrant à toutes les disciplines de l’application de la création dans le domaine de l’architecture, du graphisme, du design, et pourquoi pas de la mode… Autre question, il y a depuis 1992 un département du Développement culturel. Je souhaite que l’on réfléchisse sur ses missions et qu’on lui donne consistance plus forte.
Il me paraît, par ailleurs, essentiel de veiller, dans cette maison, à la coordination entre trois types de fonction : la programmation, la production et la diffusion – ou dans certains cas, la commercialisation. Ces trois logiques sont actuellement juxtaposées. Il y a donc un important travail à faire pour en assure la meilleure cohérence.

Un autre de vos prédécesseurs, Hélène Ahrweiler, avait évoqué une remise en cause de la gratuité de l’accès au bâtiment.
La relation entre le Centre Pompidou et le public a été organisée sur le principe d’une très grande générosité. Il faut néanmoins s’interroger sur la manière d’appréhender les flux de visiteurs qui parcourent seulement le bâtiment, montent jusqu’à sa terrasse sans s’intéresser aux activités culturelles de l’institution. Ces visiteurs occasionnent pour le bâtiment un coût et peuvent gêner ses véritables utilisateurs. Je m’interroge donc sur l’éventualité de soumettre à un droit d’entrée l’accès aux terrasses supérieures, au belvédère. L’accès à la Tour Eiffel n’est pas gratuit, cela ne l’empêche pas de recevoir des millions de visiteurs. Mais jamais je n’envisagerai de mettre en place le moindre dispositif contraignant à l’égard du public qui désire accéder aux activités culturelles de la maison.

Cette affirmation de principe vaut-elle en particulier pour la bibliothèque, qui disposera d’un accès indépendant à l’issue des travaux ?
La gratuité et la liberté d’accès à la bibliothèque sont un principe fondateur du Centre Pompidou et de la lecture publique. Il ne peut être question donc d’envisager une forme de contrôle.

Barceló vient d’être présenté à la fois au Centre Pompidou et à la Galerie nationale du Jeu de Paume. Souhaitez-vous développer ce type de collaboration ?
Je crois que tout nous y engage, à commencer par les statuts du Centre Pompidou, qui lui permettent de s’associer à des organismes extérieurs dont les missions sont complémentaires des siennes. Je suis d’autant plus favorable à ce type d’association, tant avec le Jeu de Paume qu’avec des institutions en région, que l’une des difficultés du Centre a toujours été de traiter de façon également convenable l’art historique, reconnu, la création contemporaine la plus immédiate, et, entre les deux, les périodes intermédiaires. Entre Dubuffet et Fabrice Hybert, il y a une génération qui n’a été que médiocrement traitée par cette institution.

Où en est la mission confiée à Bernard Blistène pour organiser au Musée Guggenheim de New York une exposition sur l’art en France ?
Dans l’état actuel des choses, l’exposition prévue en 1998 se compose de deux manifestations : dans le Guggenheim "uptown" une confrontation pour la période historique entre les collections des deux musées, dans le Guggenheim de SoHo, un panorama de la création contemporaine en France.
Je tiens également à ce que le Centre fasse, dans ses murs mêmes, une place mieux affirmée à la création française. Aussi ai-je souhaité que l’an prochain, pour son 20e anniversaire, le Centre procède à un accrochage de la création en France de 1907 à 1977.

Cette exposition s’inscrit-elle dans une volonté de mieux défendre les artistes français à l’étranger, et en particulier aux États-Unis ?
C’est là, en effet, une question essentielle qu’on ne peut toutefois, à mon sens, envisager dans le cadre d’une stricte bilatéralité. Nous serons d’autant mieux armés pour aborder la scène culturelle américaine et son marché que nous aurons d’abord mieux affirmé la place de l’art français sur la scène européenne. C’est donc là que se situe ma priorité.

Davantage d’espace pour la photographie

Le Centre Pompidou présente actuellement une exposition centrée sur la collection de photographie du MoMA (lire Le Magazine des Arts inclus dans ce numéro) alors que, faute d’espace, il a du mal à présenter la sienne. Quelle place occupera la photographie dans le Centre réaménagé ?
Il y a, en effet, un paradoxe qui doit cesser. J’ai engagé une réflexion qui devrait nous permettre, dans de très brefs délais, de réserver à la photographie, dans le réaménagement du Centre, des espaces permanents pour la présentation des collections photographiques, mais aussi pour des expositions. C’est un enjeu que j’estime fondamental : dans cette maison, la règle du territoire est essentielle. Si une discipline ne dispose pas d’espace permanent, elle n’existe que difficilement.
Je vous rappelle, enfin, que la programmation prévoit, à la fin de cette année, une exposition sur la photographie contemporaine dans les collections nationales. Les collections du Centre y tiendront toute leur place. Il s’agit là d’une excellente initiative.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°25 du 1 mai 1996, avec le titre suivant : Le Centre Pompidou fermera-t-il ?

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