Max Ernst dadaïste, créateur de fétiches

Soixante sculptures entre Surréalisme et fétichisme

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1996 - 933 mots

Le Castello de Rivoli, à Turin, propose jusqu’au 15 septembre une rétrospective de l’œuvre sculpté de Max Ernst. Parmi les soixante œuvres rassemblées, les premières grandes sculptures des années 1934-1935, dont Œdipe, personnage à deux têtes, La Belle Allemande, Les Asperges de la Lune, qu’il réalise en plâtre, Êtes-vous Niniche ? fait de deux jougs de bœuf inversés l’un par rapport à l’autre, et Deux et deux font un.

C’est en Arizona, en 1946, que Max Ernst réalise la plus barbare, la plus primitive de ses sculptures, Le Capricorne, qu’il rebaptisera My Family, puis en 1948, les séries Masque et Gargouille. Dans les années soixante, il construit des sculptures-installations, dont A Microbe seen through a Temperament (1964) élaboré à l’aide d’outils de jardinage, qui est exposé ici. Ce n’est pas par hasard que Max Ernst se fait photographier avec sa femme Dorothea Tanning par John Kasnetzis entre Le Roi et la Reine, transformant la scène en un tableau vivant où le sculpteur apparaît en Minotaure ou en Neptune. L’exposition propose un ensemble de photographies – dont beaucoup sont signées par des compagnons de route – le représentant soit comme le sorcier de la tribu, soit comme une pièce d’un jeu d’échecs, ou encore, dans cette photographie de Man Ray en 1934, symboliquement coincé entre Dalí, de Chirico, Magritte et Giacometti.

Max Ernst est attiré par l’œuvre de Michel-Ange et de Rodin dès la fin de la Première Guerre mondiale, mais il est déjà aussi le créateur de fétiches, "distrait par les allusions exotiques ou archaïques de l’art africain". En 1919, à Cologne, Ernst a connaissance de l’action menée par les dadaïstes à Zurich et à New York. Il écrit à Arp, lié au mouvement de Zurich, et celui-ci le rejoint. Ils organisent des expositions à Cologne et rencontrent Kurt Schwitters, le dadaïste de Berlin. Puis c’est le départ d’Arp pour Paris en 1920, où Max Ernst s’installe en 1922. Ses premières sculptures, presque toutes perdues aujourd’hui, datent de l’époque Dada. Entre 1920 et 1930, sa sculpture se limite parfois à des "objets trouvés" : cailloux, objets ordinaires... Il créé aussi de nombreux objets composés des éléments les plus divers, dont les deux Fruit d’une longue expérience (1919). L’œuvre de Max Ernst – sculptures, peintures et collages où les matières les plus déroutantes se mêlent – reflète alors toutes les phases du Surréalisme. Il veut, ainsi qu’il l’écrit, découvrir une "peinture au-delà de la peinture". Et c’est en Arizona, où il s’installe en 1946, qu’il réalise ses sculptures influencées par les mythes des Navaros et des Zuni. Puis l’un des plus célèbres surréalistes devient le surréaliste hérétique : il est exclu du groupe par André Breton pour avoir accepté le prix de la Biennale de Venise en 1954. Pour son centenaire, en 1991, le Centre Georges Pompidou à Paris avait organisé une rétrospective de celui qui avait voulu "devenir le magicien et trouver le mythe de son temps".

Sur Max Ernst
« À en croire mon état-civil, mes origines sont modestes. Mes yeux se sont ouverts vers la fin du siècle dernier, à Brühl, petite ville de la province rhénane à mi-chemin entre Cologne et Bonn. J’y ai passé une enfance banale et presque heureuse. Quelques secousses violentes se sont pourtant produites. Elles ont laissé des traces durables dont on peut trouver le reflet dans mon œuvre. Comme ma famille me faisait l’obligation de poursuivre mes études, je me suis inscrit à la faculté des Lettres de l’université de Bonn. Mais je suivais la voie dans laquelle je m’étais engagé et m’adonnais avec passion à l’activité la plus gratuite qui soit, la peinture. L’élément féminin n’était pas exclu du jardin de nos délices. Si nous n’avions parmi nous ni "peintresses" ni poétesses, c’est que nulle ne se présentait. Par contre, toute personne digne du nom de Perturbation ma sœur, la femme cent têtes, était reçue avec cris et clameurs. Plus constantes étaient celles que nous appelions volontiers "les sources de tout bien", et qui se présentaient à nos yeux sous l’aspect de ces adorables filles rhénanes qui ont inspiré quelques beaux poèmes à Heinrich Heine et à Guillaume Apollinaire. C’est à cette époque, d’ailleurs, que j’ai rencontré Apollinaire. Je l’ai vu une seule fois, c’était chez August Macke à Bonn. J’ai fait la connaissance de Arp à Cologne, dans une galerie d’art où étaient présentées des œuvres de Cézanne, Derain, Braque, Picasso et autres peintres de l’École de Paris. »
Max Ernst, Souvenirs rhénans

Sur son œuvre
"C’est en spectateur que l’auteur assiste, indifférent ou passionné, à la naissance de son œuvre et observe les phases de son développement... Nageur aveugle, je me suis fait voyant. J’ai vu. Et je me suis surpris amoureux de ce que je voyais, voulant m’identifier à lui".
Max Ernst, Au-delà de la peinture

Sur le Surréalisme
« Il restait au monde de la culture occidentale comme dernière superstition, comme un triste résidu du mythe de la création, la légende du pouvoir créateur de l’artiste. Un des premiers actes révolutionnaires du Surréalisme a été d’attaquer ce mythe par des moyens objectifs, sous la forme la plus corrosive et, certainement, de l’avoir détruit à tout jamais. En même temps, il insistait avec force sur le rôle purement passif de l’"auteur" dans le mécanisme de l’inspiration poétique, et dénonçait comme contraire à celle-ci tout contrôle "actif" de la raison, de la morale, et toute considération esthétique. C’en est fini de la conception de "talent", fini aussi de la divinisation du héros, de la fable agréable aux lubriques de l’admiration et qui vante la fécondité de l‘artiste. »
Max Ernst, Qu’est-ce que le Surréalisme ? Kunsthaus, Zurich, 1934 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°27 du 1 juillet 1996, avec le titre suivant : Max Ernst dadaïste, créateur de fétiches

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