Les enjeux olympiques et artistiques d’Atlanta

Le High Museum présente une exposition au budget pharaonique à la gloire de l’olympisme

Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1996 - 803 mots

Après Los Angeles et Barcelone, Atlanta s’efforce à son tour de mettre en avant sa politique culturelle en organisant pas moins de vingt-cinq expositions à l’occasion des Jeux olympiques. La plus spectaculaire d’entre elles, \"Rings\", a déjà permis de recueillir 10 millions de dollars de mécénat.

ATLANTA - Vingt-cinq œuvres d’art sont exposées dans les rues d’Atlanta pour célébrer la venue des Jeux olympiques. Étonnamment, elles ne soulèvent que peu de critiques, même pour les plus abstraites d’entre elles. Onze œuvres ont été installées de manière définitive, mais le sort de la vasque olympique haute de 35 m, conçue par le sculpteur Siah Armajani, reste incertain : personne ne semble d’accord pour garder le "symbole durable des Jeux" après leur clôture. De même, pas moins de vingt-cinq expositions sont organisées cet été dans la ville de Coca-Cola et de CNN. De l’inévitable exposition d’athlètes grecs à l’art des États-Unis du Sud-Est, Atlanta offre un grand spectacle débordant d’énergie et de bonne conscience, truffé de références aux Jeux, au sport et à la paix mondiale. Mais aucune ne devrait surpasser "Rings : Five Passions in World Art" (Les Anneaux : cinq passions dans le monde de l’art"), une réunion de chefs-d’œuvre placés sous les auspices de cinq "émotions olympiques". Avec un budget pharaonique de 3,5 millions de dollars (18 millions de francs), c’est la plus grande exposition artistique jamais organisée lors des Jeux olympiques.

Picasso et Matisse
Pour cette manifestation centrale, le High Museum of Art s’est assuré les services d’un commissaire de stature "olympique" en la personne de J. Carter Brown, directeur émérite de la National Gallery of Art de Washington. "Rings" est son enfant, un show sans complexe conçu pour séduire tous azimuts, dans lequel il a "mis ses tripes", pour reprendre son expression. "Nous avons choisi cinq émotions, en rapport avec les cinq anneaux olympiques, explique-t-il. J’ai toujours été ému par ce logo aux anneaux imbriqués, et nous avions  à l’esprit cet idéal que l’on appelle l’olympisme". Selon lui, les cinq émotions retenues – l’amour, l’angoisse, l’émerveillement, la jubilation et la joie – sont celles que l’on peut ressentir aussi bien face à une œuvre d’art qu’en suivant une rencontre sportive.

Pour "Rings", Brown a joué de la saine émulation entre les nations prêteuses afin qu’elles envoient leurs œuvres les plus spectaculaires. Et son habileté en la matière s’est vérifiée une fois de plus. Ainsi, une version du Cri de Munch a fait le voyage de Norvège. D’autres pièces sont venues de Pékin et de Taipei, ennemis jurés qui s’interdisent habituellement de prêter leurs œuvres pour les mêmes expositions. Seront présents également, des Baisers de Rodin et de Brancusi, des toiles célèbres de Titien, Rubens, Rembrandt, Tiepolo, Turner, Monet, ainsi qu’une grande étude de Picasso pour Guernica, et la Danse (II) de Matisse.

4 000 visiteurs par jour
Allant au devant des goûts fondamentalement conservateurs de son futur public, la palette de Brown accorde une place restreinte à l’art abstrait, et moindre encore à l’art porteur de message politique. À l’image des Nations Unies, les Jeux olympiques représentent les gouvernements de la planète, non ses peuples. Les critiques ont fait grise mine, voire la moue, depuis l’annonce de l’exposition.
Les organisateurs attendent 4 000 visiteurs par jour, un chiffre considérable comparé à la fréquentation normale des musées d’Atlanta, qui espèrent bien consolider la position de leur ville comme capitale culturelle régionale. Depuis que l’exposition a été annoncée, le High Museum a recueilli près de 10 millions de dollars supplémentaires, portant ses fonds à quelque 35 millions de dollars (182 millions de francs). Les entreprises d’Atlanta, devenues mécènes, ont peut-être découvert qu’afficher le nom de leur société sur un mur de musée pouvait être plus rentable qu’une tache minuscule sur l’écran vidéo géant d’un stade.

Plus important encore : le High Museum s’est assuré le prêt futur d’œuvres de Matisse et de Picasso par le Museum of Modern Art (MoMA) de New York. "Jamais nous n’aurions été capables de monter ce genre d’opération si nous n’avions pas compris au préalable l’impact de "Rings", affirme Ned Rifkin, directeur du High Museum. Quoi que l’on dise à ce sujet, nous traitons maintenant avec les institutions nationales et internationales comme nous ne l’avions jamais fait."

Rifkin projette désormais d’accueillir des expositions consacrées à l’art du XXe siècle chaque année, en automne. "Matisse : Master­works from the MoMA" ouvrira ses portes le 2 novembre, cinq semaines après la fermeture de "Rings". Première exposition majeure des œuvres de ce peintre dans le Sud-Est des États-Unis, elle devrait donner un second coup de fouet aux musées d’Atlanta. En 1997, le High Museum présentera une exposition similaire d’œuvres de Picasso, toujours prêtées par le MoMA. Aucune de ces expositions ne sera présentée ailleurs.

High Museum of Art, 30 John Wesley Dobbs Avenue, NE, tlj sauf dimanche 10h-17h, tél. 404 577 6940.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°27 du 1 juillet 1996, avec le titre suivant : Les enjeux olympiques et artistiques d’Atlanta

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