Royaume-Uni : l’exportation des œuvres d’art en question

Réexamen de la législation face à l’augmentation des demandes privées

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 1 septembre 1996 - 612 mots

Une modification de la réglementation britannique régissant l’exportation des œuvres d’art pourrait intervenir en réaction à l’augmentation des acheteurs privés britanniques qui essaient de faire jouer leur droit de préemption sur des œuvres soumises à l’obtention d’un certificat d’exportation. Certains pensent aujourd’hui qu’il serait préférable que ces chefs-d’œuvre soient exposés dans des musées étrangers plutôt que de rester en Grande-Bretagne, au sein d’inaccessibles collections privées. Le secrétaire d’État au National Heritage, Virginia Bottomley, a récemment communiqué les conclusions d’un rapport sur les diverses possibilités de réforme.

LONDRES (de notre correspondant) - Au Royaume-Uni, depuis la promulgation des lois Ridley, les collectionneurs privés peuvent user des mêmes droits de préemption que les musées en matière d’acquisition d’œuvres d’art soumises à une demande d’autorisation de sortie du territoire... tout en n’étant pas obligés d’en garantir l’accès au public. Jusqu’en 1990, seules les propositions d’achat émanant des institutions publiques étaient prises en compte dans l’ajournement éventuel de l’octroi d’un certificat d’exportation. Mais pour accéder à la demande de deux collectionneurs anglais (David et Frederick Barclay) qui souhaitaient acheter Les trois Grâces de Canova, pour lesquelles le Getty Museum avait proposé 7,6 millions de livres, Nicholas Ridley – alors secrétaire d’État au Commerce et à l’Industrie – a élargi à l’époque les prérogatives des collections publiques aux collectionneurs privés. Depuis, à sept reprises, des collectionneurs privés britanniques ont transmis des offres d’achat au Reviewing Committee, chargé de délivrer les autorisations d’exportation.

Trois obligations
Ce comité est radicalement opposé au maintien en l’état des lois Ridley et, à la lumière de ses avis, Virginia Bottomley et le Department of National Heritage proposent que les collectionneurs privés susceptibles d’user de leur droit de préemption soient astreints à trois obligations au moins : assurer un accès au public, garantir des conditions de conservation optimales et respecter des conditions de revente, encore à définir. Ainsi, il pourrait être interdit aux collectionneurs de revendre leurs acquisitions durant un certain nombre d’années afin de décourager tout achat purement spéculatif. Le rapport suggère en outre que les institutions publiques pourraient bénéficier d’un droit de préemption en cas de revente, et que les obligations d’accès et de conservation pourraient être imposées de la même façon aux éventuels acquéreurs successifs. Celles-ci pourraient donner lieu à l’adoption d’une nouvelle législation, ou à la signature de conventions entre les acquéreurs et le secrétariat d’État ou tout autre organisme public.

Enjeux politiques
Jusqu’ici, ce débat était occulté par le manque d’informations concernant le type de collectionneurs qui ont profité des dispositions des lois Ridley. On sait aujourd’hui que le mystérieux acheteur de La lecture de Molière, par De Troy, vendu 4,7 millions de livres l’an passé, est Wafik Saïd, un milliardaire qui fait régulièrement office d’intermédiaire dans la conclusion de contrats d’armement au Proche-Orient. Au nombre des autres grands bénéficiaires des lois Ridley, Sir Graham Kirkham, un marchand de meubles devenu ces dernières années l’un des collectionneurs les plus en vue du Royaume-Uni. En 1995, par l’intermédiaire de la Pyms Gallery, il a acheté la Tentation de sainte Marie-Madeleine de Johann Liss pour 1 million de livres. Graham Kirkham s’est également intéressé à une Sainte Famille de Fra Bartolomeo (lire notre précédent numéro), finalement acquise par le Getty Museum pour la somme de 14 millions de livres (112 millions de francs).

Le fait que Wafik Saïd et Sir Kirkham soient de puissants soutiens du Parti conservateur a fait de la réforme de la réglementation de l’exportation des œuvres d’art une question politique particulièrement délicate. En effet, Wafik Saïd entretient des relations d’affaires avec Mark Thatcher, et il est l’ami de Margaret Thatcher. De son côté, Sir Kirkham a fait en 1995 un don de 4 millions de livres aux Tories.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°28 du 1 septembre 1996, avec le titre suivant : Royaume-Uni : l’exportation des œuvres d’art en question

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