Les Rencontres d’Arles : renouveau réel ou fictif ? (II)

Bilan général du XXVIIe festival et critique des expositions

Le Journal des Arts

Le 1 septembre 1996 - 650 mots

Dix-sept expositions déclinaient le thème \"Réels, Fictions, Virtuel\". Mais tout travail photographique contradictoire par rapport au document attendu n’engendre pas immanquablement un intérêt pour ce travail. Car le modèle de la contradiction investit aussi le spectateur... Plus on lui explique que ce qu’il voit n’est pas vraiment ce qui est à voir, moins il a envie de voir quoi que ce soit. On se lasse vite d’être dupe, et plus encore du soupçon de l’être.

ARLES - Le pari aurait pu être tenu s’il n’avait été décliné en propos de nature très hétérogène, éparpillés sur des expositions souvent "mineures", ou minorées par le lieu de présentation ou le choix des œuvres : Luigi Ghirri, par exemple, était bien à l’étroit à l’Ancienne poste, dans cet éventail étriqué et peu cohérent d’un travail pourtant systématique sur les rencontre inopinées de signes déconcertants. Wegman, dont on connaît le goût pour la pitrerie canine, n’était présent à l’espace Van Gogh qu’avec vingt images (pas des plus mûries ni des plus désopilantes), une autosatisfaction condescendante pour laquelle il fallait néanmoins acquitter un droit d’entrée de 30 francs.

De même, Évidence – une vingtaine de diapositives – sur les images incongrues ou énigmatiques de la presse : une recherche qui mériterait d’être poursuivie au-delà d’un sympathique essai d’étudiants. Les inconnus très répétitifs de Paolo Gioli – des agrandissements des seules retouches au graphite sur des plaques de verre anciennes – manquaient d’appâts explicatifs et laissaient vite filer l’attention.

Pédanterie laborieuse
À côté de cela, l’ardeur au travail, l’encombrement de l’espace et la prolifération des "œuvres" ne sont pas forcément le gage d’une réception proportionnée : le comble de la pédanterie laborieuse était atteint par le déploiement de la Bonk Business Inc., une fausse-vraie-fausse entreprise finlandaise présentant son fonds d’archives (ma­chines, photographies du person­nel, des locaux, des produits, prospectus et affiches) ; on avait du mal à sourire devant une telle débauche de persévérance au service du simple clin d’œil – humour nordique impénétrable ? L’expo­sition "Volte-Face" des travaux de Nancy Burson, en confrontant ses faces idéalisées et virtuelles – superpositions de séries de visages – et ses portraits plus récents, hyperréels, de chirurgie plastique ou d’enfants progériques victimes de vieillissement accéléré, provoquaient le malaise davantage par un traitement "chic" (des polaroids couleur 20 x 24 inches, encadrés d’acajou) que par le refoulement instinctif du sujet.

En somme, cette année, le thème tournait autour de la conviction et de l’adhésion à la photographie, et plus généralement à une démonstration : celle qui était proposée par l’"épistémologie fabulatoire" de Louis Bec assumait pleinement les règles du système de classification zoologique, en faisant ressortir l’arbitraire mais aussi le pouvoir imaginaire ; il y avait quelque chose, dans la concentration du lieu, du savant fou (mais pas méchant) que notre inquiétude voudrait sauver de sa prolifération maladive.

Rêves de lectrices
On se retournera finalement vers un "maître ancien" pour nous convaincre : Ralph E. Meatyard, qui aurait pu être le principal apport de ce cru 96. Malheu­reusement, l’exposition, qui présentait des séries peu connues (No Focus, 1957-58, ou Portraits of Self, 1959), péchait par un choix trop axé sur les personnages masqués, et surtout par une absence totale d’information (nulle part l’indication que Meatyard est décédé en 1972, pas de traduction des titres, aucune précision sur la logique interne des séries, etc). Cette absence générale d’informations minimales, propres à susciter l’intérêt du spectateur, serait le principal reproche à adresser : il est difficile de se passionner pour ce qu’on ne peut pas comprendre ; l’énigme, le doute, l’incertitude ne sont pas toujours des motivations suffisantes.

Et la conviction était plus vite atteinte par les photomontages "invraisemblables" de Grete Stern – relégués dans un lieu inhabituel peu fréquenté – destinés à illustrer les rêves de lectrices d’un magazine féminin (1929-30), que par bien des constructions supposées élaborées. L’œil et l’esprit se contentent parfois de peu, et c’est très bien ainsi.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°28 du 1 septembre 1996, avec le titre suivant : Les Rencontres d’Arles : renouveau réel ou fictif ? (II)

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