Les Rencontres d’Arles : renouveau réel ou fictif ? (I)

Bilan général du XXVIIe festival et critique des expositions

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 1 septembre 1996 - 735 mots

Chaque année, les Rencontres internationales de la Photo­gra­phie (RIP) semblent se chercher. La nouvelle formule, qui propose un changement annuel de directeur artistique, a certainement des avantages (ne pas éterniser des situations de crise) mais elle montre d’emblée son handicap : réduire le propos à une promotion temporaire de quelques particularismes. N’est-ce pas au contraire la formule festival qui a vécu ?

ARLES - Après le fiasco de l’an passé, on attendait beaucoup du choix d’un artiste-photographe, le Catalan Joan Fontcuberta, sérieux, compétent, artiste assez consensuel et représentant d’un renouveau de la photographie. Son propos : revenir à une définition de la photographie comme "écriture des apparences", ce qui pourrait passer a priori pour une légère provocation dans le jardin de l’objectivité, du reportage, du document photographique. Sortir du "protocole de confiance" que le commentaire photographique renforce trop souvent, troquer l’évidence contre la fiction, voilà qui semblait prometteur, d’autant que ce champ d’action est celui de Fontcuberta depuis une quinzaine d’années et qu’il en connaît bien les nombreux protagonistes.

On sait qu’en outre, l’apparition du numérique, la facilité de la manipulation digitale engendre dans la photographie, depuis quelques années, la crainte d’une perte de l’authenticité, une inquiétude de la falsification. En revanche, depuis le XIXe siècle, la "distance" prise par le photographe à l’égard de son sujet, sa manière de le contourner signalent sa qualité d’artiste dans une pratique qui s’est voulue longtemps l’exercice de la vérité.

Voilà pour le programme, présenté sous le titre général "Réels, Fictions, Virtuel", d’une légitime ambition, décliné en quatre soirées et dix-sept expositions (lire ci-contre). Des soirées, on retiendra avant tout celles consacrées au "Rêve" (Grete Stern), au "Mystère" – qui a permis de faire découvrir d’autres facettes du travail de Meatyard que la rétrospective ne montrait pas –, et le one man show de Joel Peter Witkin. Seul sur la scène du Théâtre antique, debout derrière un pupitre, il a expliqué sa démarche et justifié ses options, sans toutefois se faire comprendre de nombre de spectateurs comme en témoignaient le lendemain les questions lors d’un débat organisé avec le photographe. Tout ne peut pas s’expliquer.

Les RIP, qui avaient mis en affiche un chien de Wegman, misaient largement sur la soirée d’ouverture. Mais la longueur du montage audiovisuel célébrant le photographe des braques de Weimar a fait fuir le public. Paradoxalement, le film signifiait bien le côté répétitif des images de William Wegman et comment l’humour disparaît devant une mécanique si bien organisée. Il aurait gagné à montrer l’artiste au travail, comme l’a fait par exemple un documentaire consacré à Joel Peter Witkin (voir le JdA n° 24, avril 1996).

Trois paramètres
Parvenues à leur XXVIIe festival, les Rencontres doivent résoudre une équation à trois paramètres : s’ouvrir à un large public tout en déclinant avec rigueur un thème convaincant. Il serait sans doute temps que les RIP s’interrogent sur leur public – qui vient à Arles ? pourquoi ? – et sur leur manière de l’accueillir. La rigueur dépend bien sûr du choix du directeur artistique mais également des moyens dont il dispose. Le nouveau maire, Michel Vauzelle, étudie l’adaptation de nouveaux lieux – comme les 1 500 m2 du Palais de l’Ar­chevêché – à des conditions d’exposition dignes de ce qu’exigent les prêteurs et le public. Mais cette ville de 53 000 âmes est fortement endettée…

Dernier paramètre, les professionnels. Il est clair qu’Arles n’exerce plus la même influence ; moins de grands noms de la photographie, de conservateurs, de galeristes, d’éditeurs se sont rendus au festival cet été ou ont réduit leur séjour. Les RIP devront trouver des solutions, à moins d’être marginalisées.

L’été prochain, Christian Caujolle, directeur de l’agence VU, prend le relais avec une programmation ayant "pour ambition d’interroger la question de l’engagement et de ses modalités". Trois grandes thématiques doivent structurer expositions et soirées : "le devoir de mémoire, les tentations du pouvoir, être politique". Il annonce la première rétrospective du photojournaliste américain, Eugene Ri­chards, une exposition sur le photomontage politique avec l’Ivam de Valence, des soirées avec Raymond Depar­don, Nane Goldin ou… Juliette Gréco.

Un bon catalogue des expositions est édité par Actes Sud (240 p., 190 F). D’autre part, Joan Fontcuberta a publié chez le même éditeur Le Baiser de Judas ; photographie et vérité (59 F), un essai touffu qui semble être son credo et son programme, à la fois pour ses travaux personnels et pour ce thème des Rencontres.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°28 du 1 septembre 1996, avec le titre suivant : Les Rencontres d’Arles : renouveau réel ou fictif ? (I)

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