Ventes publiques : l’ouverture

Confidentiel : l’avant-projet de loi

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 1996 - 1051 mots

Le Journal des Arts a pu prendre connaissance du texte préparant l’ouverture du marché français aux maisons de vente étrangères à compter du 1er janvier 1998. Ce texte, non rendu public, un \"avant-projet de loi portant réglementation des ventes aux enchères publiques de meubles\" a été rédigé par la commission \"Léon­net\", installée par le ministre de la Justice au début de l’année. Il organise la retraite financière en bon ordre des officiers ministériels français, met fin à la garantie trentenaire et crée un \"Conseil des ventes\". Cet avant-projet de loi aurait été approuvé par la Chancellerie mais serait encore à l’étude à Bercy pour les questions concernant l’indemnisation des commissaires-priseurs. Le Parle­ment pourrait en être saisi dès la présente session parlementaire.

PARIS - L’avant-projet de loi stipule que "les ventes volontaires seront faites par des sociétés commerciales agréées et contrôlées par un Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques" (dont l’intitulé même exclut qu’il ait la tutelle des ventes judiciaires).

L’article 3 du projet précise que les ventes volontaires sont organisées et faites par des sociétés commerciales dotées d’un commissaire aux comptes. Leur objet est limité à l’estimation des biens et à l’organisation des ventes. Elles sont soumises à l’agrément du Conseil des ventes.

L’alinéa suivant précise que ces sociétés doivent présenter des "garanties suffisantes" (organisation, moyens techniques et financiers, honorabilité et expérience des dirigeants) et "assurer pour leurs clients la sûreté des opérations". La commission n’a pas retenu la suggestion du rapport Aicardi d’imposer un capital minimum (un montant de 100 millions avait été articulé), préférant imposer l’ouverture de comptes spéciaux pour recueillir le produit des ventes, complétée d’une assurance de responsabilité professionnelle garantissant les fonds des vendeurs. La solution est plus ouverte, mais il faudra attendre les décrets d’application pour en connaître la portée réelle et savoir si l’ouverture sera réservée aux plus gros opérateurs ou si des "outsiders" pourront s’infiltrer.

Le texte exige également que les statuts "donnent toutes précisions utiles sur les locaux dépendant des sociétés..." ouverts au public où elles réaliseront leurs opérations. A priori cet alinéa peut se comprendre comme une garantie supplémentaire, écartant l’usage de locaux provisoires (tels que des hôtels) ; strictement interprété, il pourrait conduire à cantonner les sociétés dans leur siège, ce qui serait une façon déguisée de leur interdire une "compétence nationale".

Quel diplôme pour tenir le marteau ?
L’avant-projet de loi impose aux sociétés d’avoir "parmi leurs dirigeants, leurs associés ou leurs salariés, au moins une personne titulaire du diplôme de commissaire-priseur ou d’un titre ou diplôme équivalent. Seule cette personne est habilitée à diriger la vente, (à adjuger) et à dresser le procès verbal...". Pour verrouiller cette obligation, le nom de cette personne doit figurer dans les statuts ainsi que dans la demande d’immatriculation au registre de commerce. Ces dispositions risquent de poser des questions délicates. D’abord, celle des équivalences de diplôme (qui les décide ? avec quel recours ?). Ensuite, la rigidité de la mention dans les statuts imposera des assemblées générales extraordinaires à chaque modification ou titularisation... La Chan­cellerie devra sans doute veiller à ce que ces dispositions ne soient pas source de nouvelles difficultés avec la Commission européenne.

Le crédit aux acheteurs dissuadé
Le texte précise que la société agit comme mandataire du vendeur et lui fait défense d’acheter ou de vendre pour son compte. Il souligne qu’elle est "responsable à l’égard du vendeur et de l’acheteur du paiement et de la délivrance des meubles corporels dont elle a effectué la vente" et ajoute que "toute clause contraire est réputée non écrite". Pour assurer le règlement du vendeur (et dissuader le crédit aux acheteurs), le projet sou­ligne que "le meuble adjugé ne peut être délivré à l’acheteur" qu’après paiement ou "lorsque toute garantie a été donnée sur la solvabilité de l’acquéreur". En fait, il s’agit là de tirer les enseignements de déri­ves constatées aussi bien chez les Anglo-Saxons que chez les Français.

Un Conseil des ventes volontaires
Le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publi­ques délivre les agréments, contrôle le respect des règles, la régularité financière des opérations et sanctionne les manquements. Ses décisions d’agrément ou de sanction (pouvant aller jusqu’à la suspension ou au retrait d’agrément) doivent être motivées. Décisions administratives, elles peuvent faire l’objet de recours devant le Conseil d’État. Le Conseil est composé de huit membres nommés pour six ans à parité par les ministères de la Justice, de la Culture, de l’Économie et du Commerce. Ils élisent parmi eux un président avec voix prépondérante. Un commissaire du gouvernement est nommé par le ministre de la Justice.

Des "commissaires-priseurs judiciaires"
Pour les ventes judiciaires, le texte est succinct. Il confirme le maintien du monopole et du statut fixé par l’ordonnance du 2 novembre 1945, en y ajoutant seulement que ces officiers ministériels prendront le titre de "commissaires-priseurs judiciai­res" qui pourront être polyvalents. Ce qui est plus inattendu c’est que le texte prévoit que "leurs activités judiciaires ne sont pas incompatibles avec l’exercice des activités de ventes volontaires au sein des sociétés commerciales en tant que dirigeants ou associés ,ou comme opérateurs lors des adjudications".

Fin de la "garantie trentenaire"
Parmi les nombreuses dispositions transitoires, il faut relever en particulier que les actions en responsabilité civile dirigées contre les commissaires-priseurs judiciaires ou les sociétés de ventes volontaires (...) se prescriront par dix ans à compter du fait générateur du dommage. En d’autres termes, c’est la fin de la "garantie trentenaire".

Il serait opportun de compléter l’article correspondant du projet pour qu’il soit clair que la prescription décennale bénéficie aussi aux vendeurs (qui, dans la jurisprudence française, supportent en fait le poids de la garantie), ainsi qu’à ceux qui apportent leur concours à l’organisation des ventes aux enchères (par exemple, les experts non salariés).

Cette disposition (art. 19) ainsi complétée devrait satisfaire tout le monde en remettant en cause la "ga­rantie trentenaire", qui inquiète l’ensemble des opérateurs et des vendeurs sans profiter réellement aux acheteurs. Par contre, elle pourrait créer une distorsion avec les négociants, qui resteraient soumis au droit commun. Ne serait-il donc pas souhaitable d’introduire plus généralement une prescription spéciale de dix ans pour les actions en garantie, nullité ou responsabilité portant sur des ventes de biens d’occasion, comme cela a pu être fait en 1985 en instituant une prescription décennale en matière de responsabilité civile extra-contractuelle (art. 2270-1 du code civil).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°29 du 1 octobre 1996, avec le titre suivant : Ventes publiques : l’ouverture

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