Timothy Clifford persiste et signe

Succès et (rares) échecs d’un directeur de musée passionné

Le Journal des Arts

Le 1 octobre 1996 - 684 mots

Timothy Clifford, le directeur des National Galleries of Scotland, vient d’ajouter un chapitre à la longue liste de chefs-d’œuvre qu’il a réussi à soustraire à la convoitise des musées étrangers en réunissant la somme nécessaire à l’acquisition d’un tableau du Guerchin provenant de Castle Howard, originellement promis au Getty Museum.

ÉDIMBOURG - Au mois d’août, la ténacité de Timothy Clifford a évité qu’un tableau du Guerchin conservé à Castle Howard, Herminie découvrant Tancrède blessé, soit exporté aux États-Unis pour le compte du Getty Museum, à qui l’œuvre avait été vendue de gré à gré au mois de décembre 1995 pour 3,5 millions de livres (28 millions de francs). Après l’expiration du délai de six mois au cours duquel les musées britanniques peuvent user de leur droit de préemption sur une œuvre soumise à l’obtention d’une autorisation de sortie du territoire, il a réussi à obtenir une prolongation d’un mois pour collecter les 2 040 096 livres nécessaires à son acquisition (16 millions de francs), compte tenu des avantages fiscaux. Parmi les bailleurs de fonds : Sir Denis Mahon, John Paul Getty Jr., l’Heritage Lottery Fund, le National Art Collections Fund et le secrétariat d’État pour l’Écosse.

L’acquisition du Guerchin allonge la liste impressionnante des œuvres que le directeur des National Galleries of Scotland a pu faire entrer dans les collections publiques britanniques. Avec Neil MacGregor, directeur de la National Gallery de Londres, qui dispose d’un budget beaucoup plus réduit (ramené de 1,8 million de livres en 1993/94 à 660 000 livres en 1995/96), Timothy Clifford est sans doute l’acquéreur le plus actif de tous les directeurs de musées du Royaume-Uni.

Le Getty encore et toujours…
Lorsqu’il dirigeait la Manchester City Art Gallery, il avait enlevé le Buste de Monsignor Cerri, par Algardi, des mains du Metropolitan Museum of Art de New York et soustrait une Crucifixion de Duccio aux appétits du Getty. En revanche, il a perdu la bataille livrée contre cette dernière institution pour l’acquisition d’une Adoration des Mages de Mantegna, vendue 8 millions de livres par la marquise de Northampton, bien qu’il eût déjà rassemblé la moitié de la somme. Son autre échec, toujours face au Getty, a été le fameux Poussin de Chatsworth, Vierge à l’Enfant avec des anges.

Timothy Clifford fait remarquer qu’il ne cherche pas particulièrement à ferrailler avec le Getty. Au contraire, il a presque toujours cherché à négocier avec les vendeurs avant que le musée californien ne se manifeste. Tel a été le cas pour le tableau du Guerchin, qu’il avait essayé d’acheter à Castle Howard dès l’automne 1995, en tentant d’obtenir pour 5 millions de livres un "lot" exceptionnel comprenant, outre le Guerchin, une œuvre d’Orazio Gentileschi, Moïse sauvé des eaux, et deux terres cuites de Canova, trois œuvres qu’il finira d’ailleurs par acquérir.

Les Trois Grâces de Canova
À ce propos, Timothy Clifford rappelle que s’il avait été davantage soutenu par l’Heritage Lottery Fund au moment de cette première négociation, le Royaume-Uni aurait pu se porter acquéreur de quatre œuvres d’art majeures en faisant quelques millions de livres d’économie. En effet, le seul Gentileschi fut adjugé 4,6 millions de livres au mois de décembre.

Depuis qu’il a été nommé à la tête des National Galleries of Scotland en 1984, Timothy Clifford a encore "sauvé" de l’exportation bon nombre d’œuvres, parmi lesquelles le Buste de Carlo Antonio dal Pozzo par le Bernin, provenant de Castle Howard ; Alexandre III sauvé d’un cerf furieux par Benjamin West, destiné à la National Gallery de Washington ; les Trois Grâces de Canova (avec le Victoria & Albert Museum de Londres), promises au Getty ; la meilleure part des dessins de maîtres anciens vendus par Holkham, voués à la dispersion. Enfin, Timothy Clifford utilise à merveille les avantage fiscaux liés aux contrats de vente privés : il a ainsi acquis un dessin de Léonard de Vinci et deux de Raphaël conservés à Chatsworth.

Reste que l’enrichissement des collections publiques n’est pas une priorité aux yeux des pouvoirs publics, ni même à ceux de nombreux conservateurs de musées depuis que Margaret Thatcher a gelé les crédits d’acquisition des musées nationaux en 1985.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°29 du 1 octobre 1996, avec le titre suivant : Timothy Clifford persiste et signe

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