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Tinguely en robe de Bâle

La Suisse s’enrichit d’un Musée Tinguely

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 1996 - 1039 mots

Le 3 octobre, le Musée Jean Tinguely ouvre ses portes à Bâle. Dessiné par l’architecte tessinois Mario Botta, auteur du Musée d’art moderne de San Francisco et de la cathédrale d’Évry, et dirigé par Margrit Hahnloser, il a été entièrement financé par le groupe pharmaceutique Hoffman-La Roche pour un coût de 30 millions de francs suisses (125 millions de francs). Ida Gianelli, directeur artistique du Musée d’art contemporain du Castello di Rivoli, près de Turin, a rencontré Pontus Hulten, qui fut pendant quarante ans l’ami de Jean Tinguely, décédé en 1991, et à ce titre, chargé de l’accrochage inaugural. Au cours de sa carrière, Pontus Hulten a notamment dirigé le Moderna Museet de Stockholm, le Musée national d’art moderne au Centre Georges Pompidou, le Musée d’art contemporain de Los Angeles, la Kunsthalle de Bonn…

Pourquoi avoir créé un Musée Jean Tinguely à Bâle ?
Pontus Hulten : Ce musée rend hommage à un grand artiste, ainsi qu’à la ville où il a vécu. Bien qu’il soit né à Fribourg, en 1925, Jean Tinguely a toujours aimé Bâle, où il a suivi les cours de l’École des arts appliqués. Il participait de façon active à la vie culturelle de la cité. Par exemple, il n’a jamais manqué le Fasnacht, le carnaval, pour lequel il a souvent dessiné des costumes. En 1985, il a ainsi créé La sorcière monstrueuse, une figure installée dans un fauteuil roulant dont la tête branlante est un crâne de rhinocéros.
En outre, c’est pour Bâle que Tinguely a conçu la Fontaine du Théâtre-Fontaine du Carnaval, devenue l’une de ses sculptures les plus célèbres et l’un des symboles de la ville. Sans compter qu’il y avait ici l’une des collections les plus importantes de ses œuvres, constituée par la société Hoffman-La Roche. C’est d’ailleurs par l’intermédiaire de Paul Sacher, qui a entretenu avec Tinguely des liens d’estime et d’amitié, que cette société a offert de financer intégralement la construction du musée.

Est-ce une bonne idée de consacrer un musée à un seul artiste, fût-il de portée internationale ?
Si l’œuvre en question se caractérise par une continuité évidente, sans évolution ni changements, le musée risque en effet d’être rapidement ennuyeux. Mais tel n’est pas le cas pour Tinguely. En près de quarante ans de travail, il n’a cessé de poursuivre et de diversifier ses recherches en réalisant, entre autres, des sculptures acoustiques et olfactives, des sculptures en mouvement pour ses séries de machines à dessiner et à peindre (Méta-mécanique, Méta-Matic…), des assemblages qui s’autodétruisent (l’Hommage à New York installé au Museum of Modern Art de New York en 1960), des fontaines-spectacles (la Fontaine Stravinski, créée en 1982-1983 près du Centre Pompidou, en collaboration avec sa femme Niki de Saint-Phalle), des sculptures scénographiques (la Grande Hon, avec Niki de Saint-Phalle), des sculptures habitables géantes… Et puis, trouvez-vous que le Musée Picasso soit monotone ?

Le fait de "mettre en scène" un musée monographique était-il très différent de vos expériences précédentes ?
Oui, tout à fait. Cela ressemble davantage à l’organisation d’une exposition individuelle. Dans le cas présent, grâce à la générosité de la société qui patronne le musée, et surtout à celle de Niki de Saint-Phalle – ils ont donné soixante pièces de grande taille –, l’abondance du matériel m’a permis de proposer une bonne illustration du travail de Tinguely.

Le musée a reçu en donation de nombreuses œuvres qui ne sont pas toutes exposées aujourd’hui. Avec quelle fréquence envisagez-vous de renouveler la présentation initiale ?
Le public pourra voir l’installation actuelle pendant un an. Nous verrons ensuite à quel rythme il conviendra de présenter les diverses expositions temporaires et d’assurer la rotation des œuvres de Tinguely. Je donnerai la préférence à un programme d’expositions temporaires consacrées aux artistes qui ont influencé Tinguely, tels que Bruno Munari ou Yves Klein, et à ceux qui se sont inspirés de ses recherches, comme Bernard Luginbühl et tant d’autres.

Dans mon souvenir, Jean organisait tout ce qui le concernait avec une minutie extrême… jusqu’à son propre enterrement. N’est-il pas curieux qu’il n’ait laissé aucune instruction pour la création d’un musée qui lui serait consacré ?
Pour ce qui est de son enterrement, je crois qu’il a voulu créer un événement artistique mémorable dont il entendait être le metteur en scène. Tout avait été prévu dans les moindres détails. Le long cortège qui suivait le corbillard jusqu’à la cathédrale comprenait plusieurs de ses sculptures, et des feux d’artifice l’accompagnait en plein jour ; les enfants portaient à l’église des costumes qu’il avait dessinés pour le Fasnacht… La musique, les hymnes, tout cela était très impressionnant. Pour ce qui est du musée, il n’a laissé aucune instruction, en effet, mais en me fondant sur les expériences que nous avons vécues en commun, notamment la grande rétrospective du Palazzo Grassi en 1988 (montrée également à Paris, au Centre Pompidou), j’ai été en mesure de définir les conditions nécessaires à la construction de l’édifice et à la conservation de ses pièces. J’ai fait la connaissance de Jean au début de sa carrière ; j’ai vu toutes ses expositions et ai souvent participé à ses côtés à leur montage. Je crois qu’il y a fort peu de choses que j’ignore de son œuvre ou de sa vie. Son travail ne pouvant être considéré de façon conventionnelle, j’ai tenu à créer une présentation vivante, qui ne soit pas trop tributaire d’une vision scientifique de son œuvre.

Maintenant que le Musée Tinguely est lancé, quel sera le prochain musée où vous interviendrez ?
J’ai commencé à travailler sur un projet de musée d’un tout autre genre. Il s’agit d’un petit musée qui sera établi en rase campagne, entre Stockholm et Malmö, en Suède. Il abritera une collection déjà existante, et on lui adjoindra un restaurant et un centre commercial où seront vendus des produits régionaux. Étant donné son emplacement – à un croisement d’autoroutes… –, il était indispensable qu’il soit dessiné par un grand architecte. J’ai donc pensé à Renzo Piano qui, à ma grande joie, a accepté de s’en charger. Nous avons visité ensemble le site. Dès que le projet sera prêt, les travaux pourront commencer.

Musée Jean Tinguely, Solitude Park, Bâle, tél. (41) 61 681 93 20, ouvert du mercredi au dimanche 9h-19h, entrée 5 FS.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°29 du 1 octobre 1996, avec le titre suivant : Tinguely en robe de Bâle

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