Paroles d'artiste

Huang Yong Ping : « Nos connaissances ne sont que des illusions »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 24 novembre 2009 - 715 mots

Avec deux amples installations, présentées dans la chapelle des Petits-Augustins de l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts et à la galerie Kamel Mennour, à Paris, Huang Yong Ping (né en 1954 à Xiamen, en Chine) questionne les modes de lecture de l’image

Caverne 2009, à la galerie Kamel Mennour, et Arche 2009, dans la chapelle des Petits-Augustins, évoquent deux textes fondamentaux : l’épisode de l’arche de Noé issu de la Genèse, et l’Allégorie de la caverne de Platon. Ces œuvres ont-elles une dimension illustrative ?
Il n’a pour moi jamais été question de partir de textes anciens afin de créer des œuvres ; je n’ai donc pas cherché à les illustrer ou à les transformer en sculptures. Ce qui m’intéresse, c’est de m’en emparer et de laisser s’opérer un changement. La question était de savoir si j’allais réussir à en faire quelque chose qui me soit contemporain. Mais quand je me trouve au point de départ d’une œuvre, je ne souhaite pas connaître le point d’arrivée. Relevons ici la présence dans la culture occidentale de liens très importants entre ces deux aspects, à savoir le versant de la philosophie grecque et le versant religieux. Mais cela fait très longtemps que mon travail se ressource à la civilisation chinoise autant qu’à celle de l’Occident ancien.

Précisément, avec Caverne, nous sommes face à une évocation platonicienne, mais à travers le trou percé dans la paroi, on aperçoit un Bouddha et des talibans. Platon questionne l’accès au savoir et à la connaissance à travers le réel, et face à lui vous placez des talibans – perçus comme obscurantistes. Comment articulez-vous cela ?
Tout d’abord, les talibans sont parfaitement dans leur élément dans une grotte, c’est un contexte dans lequel ils sont très actifs ; il y avait donc un contraste intéressant. Quant au problème de la connaissance, peut-on vraiment dire que les talibans n’y ont pas accès ?  Finalement, depuis le temps que l’on s’interroge sur ce que sont le savoir et la connaissance, on n’a toujours pas de réponse…, donc, pourquoi pas les talibans ?

Vous posez la question de l’image également, car, à côté des talibans, est placé un Bouddha. Chez Platon, le problème est aussi celui de l’image. Or les talibans ont dynamité les Bouddhas de Bâmiyân afin de détruire les images. Y a-t-il pour vous une corrélation ?
La pièce renvoie effectivement à la destruction des statues de Bâmiyân. Les talibans sont iconoclastes et « anti-idolâtres », or le bouddhisme dont relèvent ces sculptures est une idolâtrie. Mais en même temps, nous sommes parvenus à un stade où l’on peut se demander si l’« anti-idolâtrie » n’est pas devenue justement une idolâtrie. Le fait de détruire les idoles n’engendre-t-il pas de nouvelles idoles ? Les rôles peuvent donc parfaitement s’inverser, par confusion.

Peut-on dire que vous avez ici travaillé sur l’illusion des perceptions ?
On peut parfaitement le penser dans la mesure où toutes nos connaissances, dans un certain sens, ne sont effectivement que des illusions.

À propos d’Arche, la référence à l’arche de Noé est évidente, mais il se produit un décalage, car les animaux apparaissent très mal en point et l’on hésite alors entre sauvetage et naufrage…
Il y a, c’est juste, un décalage avec l’idée de l’arche de Noé. On peut percevoir certaines raisons à cette inquiétude, ce malaise des animaux : un incendie peut-être, ou des problèmes de rapports de force internes entre eux… Ce que j’espère, c’est que les motifs de ce malaise n’apparaissent pas clairs, qu’il n’y ait pas d’explication définitive et univoque de cette situation. Je souhaite que ce soit flou et gênant.

Envisagez-vous derrière le récit textuel une lecture sociale ?
Je me situerais plutôt entre le texte et cette vérité sociale, car si j’étais vraiment dans cette démarche que vous décrivez, cela impliquerait qu’il y ait une réponse, cela signifierait qu’il y a quelque chose de définitif à dire sur la société. Or je n’ai pas de message particulier à faire passer.

HUANG YONG PING. ARCHE 2009, jusqu’au 1er décembre, chapelle des Petits-Augustins, École nationale supérieure des beaux-arts, 14, rue Bonaparte, 75006 Paris, tél. 01 47 03 50 00, www.ensba.fr, tlj sauf lundi 13h-19h.

HUANG YONG PING. CAVERNE 2009, jusqu’au 19 décembre, galerie Kamel Mennour, 47, rue Saint-André-des-Arts, 75006 Paris, tél. 01 56 24 03 63, www.galeriemennour.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°314 du 27 novembre 2009, avec le titre suivant : Huang Yong Ping : « Nos connaissances ne sont que des illusions »

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