Scène française

La dérobade

Deux expositions relatives à la lisibilité de l’image

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 24 novembre 2009 - 524 mots

PARIS - C’est une double dialectique oscillant entre apparition et disparition de l’image qui semble s’être installée dans deux expositions mettant à l’honneur la scène artistique française, à l’Espace culturel Louis Vuitton et à la Galerie des Galeries aux Galeries Lafayette, à Paris.

Dans un bel accrochage, la commissaire d’exposition Fabienne Fulchéri propose une « Confusion des sentiments » qui traite de la lecture et de la révélation à travers le bouleversement perceptif et le sens caché. Derrière le brouillard de Céleste Boursier-Mougenot, c’est le bruit seul qui donne à « voir » des formes grâce à sa puissance suggestive (ESD, 2009), alors que dans un espace vide et saturé de lumière blanche Renaud Auguste-Dormeuil délivre une touchante Écriture nocturne (2006), qui n’est autre que du papier peint couvert de braille. De leur côté, Christophe Berdaguer et Marie Péjus proposent au visiteur d’enregistrer en vidéo ses traumatismes enfouis en suivant les instructions d’un hypnotiseur (La Traumathèque, 2002-2003). Toutes ces œuvres ont aussi en commun de placer constitution et réception de l’image sur le terrain de l’expérience. Laurent Grasso se livre, lui, à une sorte de retour vers le futur bien vu, en « rejouant » sur des tableautins à la facture ancienne des actions tirées de plusieurs de ses films (Studies Into the Past, 2009).
    Pour sa cinquième édition, « Antidote » s’interroge également sur la nature, la matérialité et la visibilité de l’image, comme dans le film 16 mm de Laurent Montaron dont le défilement continu va altérer la bande et l’enjoindre à progressivement s’estomper (Pace, 2009).
    Parfois l’image se fait complice d’une forme d’étirement temporel. Ainsi des photographies de Dove Allouche revisitant trente après les lieux du tournage de Stalker, d’Andreï Tarkovski (Le Temps scellé, 2006). Ou du paravent d’Aurélien Froment, lequel, offrant un cadre à l’image constituée par le lieu d’exposition, change de point de vue avec son déplacement quotidien (Les Paravents, 2009).
    Moins heureux, Jimmy Robert a laissé une estrade de bois avec une image et une paroi graffitée au fusain, résultat d’une performance dont témoigne un moniteur (Non-Scene, 2008). Las, en abordant la notion de scène au sens élargi, touchant ainsi aux valeurs sociopolitiques autant qu’artistiques, l’artiste fait déclamer à un performeur un discours pesant, perclus de « grandes » idées, pendant qu’un autre exécute lascivement un gribouillis. Le plaidoyer pour le respect et la liberté s’affadit alors autant que l’image. Plus loin, sauf à enfoncer la porte grande ouverte du problème de la liberté perceptive et interprétative du regard, l’assemblage hétéroclite de Sophie Bueno-Boutellier (Oursin Fossile, 2008) peine à convaincre qu’il est « empreint de spiritualité, [et] soulève la question de la croyance et de la subjectivité de la perception » (dixit le cartel). Même lorsqu’elles se dérobent, on ne peut pas faire dire n’importe quoi aux images !

LA CONFUSION DES SENS, jusqu’au 10 janvier 2010, Espace culturel Louis Vuitton, 60, rue Bassano, 75008 Paris, tél. 01 53 57 52 03, www.louisvuitton.com/espaceculturel/, tlj 12h-19h, dimanche 11h-19h.

ANTIDOTE 5, jusqu’au 9 janvier, Galerie des Galeries, Galeries Lafayette, 40, bd Hausmann, 75009 Paris, tél. 01 42 82 81 98, www.galeriedesgaleries.com, tlj sauf dimanche 11h-19h, jeudi 11h-21h.

LA CONFUSION DES SENS
Commissaire : Fabienne Fulchéri
Nombre d’artistes : 7

ANTIDOTE 5
Commissaire : Guillaume Houzé, collectionneur
Nombre d’artistes : 10

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°314 du 27 novembre 2009, avec le titre suivant : La dérobade

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