La liste de Mauerbach

Première grande vente aux enchères d’œuvres pillées par les nazis

Le Journal des Arts

Le 1 octobre 1996 - 928 mots

Un triste chapitre de l’histoire autrichienne remontera à la surface les 29 et 30 octobre, à Vienne, lorsque Christie’s dispersera plus de mille œuvres et objets d’art confisqués aux juifs autrichiens par les nazis et conservés depuis 1956 par les autorités dans le monastère de Mauerbach. Le produit de la vente – organisée au Mak, le Musée autrichien des arts appliqués –, qui devrait avoisiner l’équivalent de 18 millions de francs, sera entièrement reversé aux victimes de l’Holocauste. Christie’s ne percevra pas de commission, et les 1 045 lots seront mis en vente sans prix de réserve.

VIENNE - La vente Mauerbach comprend des œuvres de maîtres anciens et du XIXe siècle, des peintures, des dessins, des gravures, des armes, des porcelaines orientales et européennes, des majoliques italiennes, de la verrerie, de l’argenterie, de rares tapisseries des Flandres et de Bruxelles, des tapis européens et islamiques, du mobilier Biedermeier, rococo et victorien, des manuscrits et des livres, des monnaies et des médailles…

La plupart de ces œuvres ont été pillées sur ordre d’Hitler dans les maisons des juifs autrichiens qui avaient fui le régime nazi ou qui s’étaient "séparés" de leurs biens dans l’espoir d’obtenir un visa de sortie. Ce butin, destiné au grand musée qu’Hitler avait l’intention de créer à Linz, a été retrouvé à la fin de la guerre par l’armée américaine dans une mine de sel près de Salzbourg. Plus de 10 000 objets ont alors été restitués par le gouvernement autrichien et par les Alliés. En 1955, 8 500 objets qui n’avaient pas été réclamés furent remis aux autorités autrichiennes à la condition que tout soit fait pour retrouver leurs propriétaires légitimes. Si le gouvernement avait agi immédiatement, nul doute que de nombreux ayants droit auraient apporté la preuve de leur propriété…

Le scandale a éclaté au grand jour en 1984, lorsqu’un journaliste du magazine ARTnews révéla l’existence de ces trésors conservés dans le monastère de Mauerbach. Sous la pression de l’opinion publique internationale, l’Autriche a alors publié une liste des biens concernés en invitant enfin les propriétaires et leurs héritiers à se faire connaître.

Loin de leur pays natal et à cinquante ans d’intervalle, il leur était demandé de fournir des certificats de propriété, d’avoir gardé en mémoire une nuance ou la position d’un bras dans un portrait… Seules quatre cents œuvres furent restituées jusqu’en 1995. Puis un acte du Parlement transféra la propriété des œuvres restantes à une fédération de communautés juives autrichiennes, l’Israelitische Kultus­gemeinde Wien, pour le compte de laquelle la vente d’aujourd’hui est organisée. Néanmoins, la présence de pièces relevant de la symbolique chrétienne a conduit à réserver 12 % du produit de la vente à des organismes non juifs.

Quelques œuvres remarquables…
Quelques œuvres que l’on croyait perdues seront dispersées lors de la vente Mauerbach, comme ce tableau d’Alexander Archi­penko, Carafe (estimé entre 61 000 et 93 000 dollars), l’une des rares toiles de l’artiste qui ne soit pas dans une collection publique. La découverte la plus remarquable est une Madonne à l’Enfant, par le peintre siennois Pietro Orioli (1458-1496), estimée entre 75 000 et 110 000 dollars, sans compter deux natures mortes de fleurs et de fruits par Abraham Mignon, ainsi qu’une autre de Frans Snyders. À noter également, parmi les toiles de maîtres anciens, une œuvre tardive de Nicholas Maes, L’intérieur du temple de Diane à Nîmes par Hubert Robert (entre 30 000 et 47 000 dollars) et une gouache de Jean-Baptiste Mallet, Couple faisant l’amour dans une grange (entre 47 000 et 74 000 dollars).

Les peintures allemandes du XIXe siècle constituent la part la plus importante de la vente et comprennent notamment des aquarelles de Rudolf von Alt, dont Saint-Pierre de Rome et la Maison de Lois Gerl (estimées chacune entre 38 000 et 51 000 dollars). Côté peintures, des Vendangeurs de la première période de Winterhalter (entre 47 000 et 74 000 dollars), une grande allégorie exécutée par Hans Mackart (entre 30 000 et 47 000 dollars), un portrait intitulé l’Orientale par Friederich von Amerling (estimé entre 30 000 et 47 000 dollars)… Un grand nombre de toiles de la Sécession seront dispersées, dont le Duel  (entre 47 000 et 74 000 dollars) par Franz von Stuck, ainsi qu’un ensemble de pastels et d’aquarelles de Fidus (Hugo Höppener). Enfin, une importante tête héllénistique en marbre, représentant peut-être Alexandre le Grand, est estimée entre 47 000 et 74 000 dollars.

Le sort des "MNR"
Mais cette dispersion doit encore faire face à de nombreuses difficultés (lire notre article ci-dessous). Des ayants droit ne devraient pas manquer de se manifester après la publication du catalogue. Déjà, une vingtaine de lots ont été contestés et retirés de la vente. En outre, de nombreux désaccords pourraient naître au moment de la redistribution des fonds. Un comité a été formé pour travailler en collaboration avec le World Jewish Congress et les organisations chargées de la vente, qui privilégient le financement de projets éducatifs et d’associations caritatives pour les survivants de l’Holocauste. Un comité honoraire international est chargé d’asseoir la crédibilité de la vente et de répartir les fonds recueillis. Placé sous la direction conjointe de Ronald Lauder, président d’Estée Lauder International, et d’Edgar M. Bronfam, président de la Seagram Company, il compte parmi ses membres Lord Rothschild, Israël Singer, Sir Georg Solti… En France, un colloque organisé à Paris le 17 novembre par la Direction des Musées de France abordera notamment la question des "MNR" (Musées nationaux récupération), ces œuvres spoliées par les nazis dont les légitimes propriétaires n’ont pas été retrouvés et qui sont toujours conservées dans les musées nationaux…

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°29 du 1 octobre 1996, avec le titre suivant : La liste de Mauerbach

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