Le grand bond en avant de la collection Thyssen

Shangai accueille la collection Thyssen, enrichie des acquisitions de la baronne

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 1 novembre 1996 - 815 mots

Ancienne miss Espagne, la baronne Thyssen possède aujourd’hui quatre cents tableaux, donnés par le baron Thyssen ou achetés avec son aide, dont une sélection est exposée au nouveau Musée de Shanghai avant d’être présentée à Pékin, Bilbao, Lugano, et sans doute aux États-Unis et au Japon. Mais la portée de cette exposition internationale est assombrie par les démêlés qui opposent le baron à son fils aîné.

SHANGHAI - Attendue dans le monde entier, l’exposition itinérante d’une sélection de chefs-d’œuvre de la collection de peintures de la baronne Thyssen, née Carmen "Tita" Cervara, commence son périple en Chine. Cette "nouvelle" collection Thyssen a une double origine : une partie provient directement de la collection personnelle du baron Hans Heinrich Thyssen-Bornemisza, aujourd’hui âgé de 75 ans, l’autre a été achetée par la baronne, âgée de 52 ans, avec l’aide de son mari. Cette ancienne miss Espagne est désormais l’une des acheteuses les plus actives sur le marché de l’art international. Elle est conseillée notamment par Thomas Llorens, conservateur de la Fondation Thyssen-Bornemisza à Madrid, créée par le baron en 1992, dont les 775 tableaux ont été acquis en 1993 par l’État espagnol pour 350 millions de dollars .

Les cent tableaux exposés cet été à la fondation de Madrid sous le titre "De Canaletto à Kandinsky" ont révélé toute l’importance de sa collection, qui compte un total de quatre cents toiles. La sélection actuellement présentée au nouveau Musée de Shanghai (lire notre article page 33) est comparable, même si quelques-uns des chefs-d’œuvre montrés à Madrid ont regagné les résidences privées du couple, dans les environs de Madrid, sur la Costa Brava, à Paris et à Lugano.

L’exposition madrilène était concentrée sur les œuvres du XIXe siècle, avec seulement quelques tableaux du XVIIIe et du début du XXe siècle. La plupart des toiles représentaient des paysages et des scènes de la vie quotidienne, en mettant l’accent sur les paysages américains et les scènes de genre espagnoles du XIXe siècle. Cependant, la baronne a également su réunir un bon ensemble d’œuvres impressionnistes et post-impressionnistes, dont deux Gauguin, Enfants au verger et Bord de rivière, qui n’avaient encore jamais été exposés.

Un tableau par semaine
La moitié des cent tableaux exposés à Madrid appartenait autrefois au baron Thyssen, parmi lesquelles des toiles de Gauguin – Matamua, Allées et venues, Martinique – et de Pissarro : Route de Versailles, Le verger à Éragny. Le baron a également offert à sa cinquième épouse les six sculptures de Rodin commandées par August Thyssen entre 1905 et 1908, actuellement exposées au Musée Rodin à Paris, et Bateau dans une écluse de Constable, payé 10,9 millions de livres par le baron, en 1990.

De son côté, la baronne Thyssen a acheté de nombreuses toiles, au rythme moyen d’une par semaine depuis deux ans, chez Christie’s et Sotheby’s (Londres et New York), ainsi qu’auprès des maisons de vente espagnoles Fernando Duran et Ansorena (Madrid), et Maragall (Barcelone). En 1995, elle s’est notamment offert une Vue de la Giudecca de Guardi, qui n’avait pas trouvé acquéreur lors de sa mise aux enchères (estimation basse de 3 millions de dollars), Le jockey de Toulouse-Lautrec (190 000 livres, soit 1,52 million de francs), Jardin aux fleurs (705 500 livres, soit 5,65 millions de francs) et Corrida à Eibar d’Ignacio Zuloaga (1 975 000 dollars, soit près de 10 millions de francs, prix record pour ce peintre basque). Cette année, elle a acheté, entre autres, Foria Portello de Canaletto, qui n’avait pas trouvé preneur chez Christie’s (estimation basse de 300 000 dollars), Le pont de Charing Cross de Monet (3 962 500 livres, soit 31,7 millions de francs), Le Rouet d’Émile Bernard (84 000 livres, soit 672 000 francs) et Le Moulin de Gennep de Van Gogh (551 500 livres, soit 4,4 millions de francs).

Querelle de famille
Mais les démêlés de la famille Thyssen, devenus publics au mois de septembre, risquent de rejeter dans l’ombre l’exposition itinérante de ces chefs-d’œuvre. En effet, dans un entretien accordé au journal madrilène ABC, le baron regrette d’avoir demandé à son fils aîné, Georg, de représenter les intérêts de la famille au sein de la société Thyssen, après avoir été victime d’une crise cardiaque voilà deux ans : "C’était une mauvaise idée de lui transmettre cette responsabilité. Il est extrêmement décevant de voir son propre fils abuser des circonstances". Le baron l’a en effet accusé de s’être approprié 350 millions de dollars provenant de la société industrielle familiale en Allemagne, spoliant du même coup les autres membres de sa famille. Georg Thyssen a par ailleurs démissionné de son poste d’administrateur de la Fondation Thyssen-Bornemisza et, à la demande du baron, il a été remplacé par Alexander, son fils d’un quatrième mariage.

COLLECTION THYSSEN, jusqu’au 14 décembre, Musée de Shanghai ; Musée national de Chine, Pékin, 24 janvier-9 mars 1997 ; Museo de Bellas Artes, Bilbao, avril-juin 1997 ; Villa Favorita, Lugano, juillet-septembre 1997.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°30 du 1 novembre 1996, avec le titre suivant : Le grand bond en avant de la collection Thyssen

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