La Carnavalette de la marquise

Madame de Sévigné en son hôtel du Marais

Le Journal des Arts

Le 1 novembre 1996 - 674 mots

La marquise de Sévigné ayant pratiquement habité les vingt dernières années de sa vie à l’hôtel Carnavalet – qu’elle surnommait \"la Carnavalette\" –, le Musée d’histoire de Paris qui y a élu domicile depuis était tout indiqué pour commémorer le tricentenaire de sa mort. Passé le porche du n° 23 de la rue… de Sévigné, le visiteur découvrira les mille et un visages de l’infatigable épistolière, grâce à une exposition piquante qui rassemble aussi bien des œuvres de Pierre Mignard, Robert Nanteuil et Hyacinthe Rigaud… que des figurines Mokarex.

PARIS - Une cinquantaine de peintures et plus de quatre-vingts estampes – soit plus de la moitié des deux cent quarante quatre numéros – donnent à l’exposition du Musée Carnavalet tout son relief et devraient rallier les sceptiques, lassés des expositions-pensums qui se contentent d’aligner imprimés et manuscrits dans des vitrines dès qu’il s’agit d’honorer la mémoire d’un hom­me de let­tres… Pour une fois, l’iconographie du personnage, de son entourage et de son époque a pris le pas sur l’exposition prosaïque de sa production littéraire. De toute façon, les lettres autographes de la marquise de Sévigné, née Marie de Rabutin-Chantal en 1626, sont rares : cent cinquante environ nous sont parvenues sur les 1 373 connues, dont plus de 1 000 adressées à sa fille, madame de Grignan.
Que les bibliophiles se rassurent, une soixantaine de livres, éditions originales et manuscrits – dont sept lettres autographes de Mme de Sévigné – sont tout de même rassemblés. La plupart de ces documents sont judicieusement regroupés dans une galerie-bibliothèque placée au cœur de l’exposition, alors que les huit autres sections offrent la possibilité de mettre un visage sur les personnages évoqués dans les lettres de la marquise. À commencer par ses proches, avec notamment deux portraits de sa fille tant adorée : celui, bien connu, du Musée Car­na­valet, attribué à Pierre Mignard, et une huile anonyme provenant du château de Bussy.

Prédominance du mythe
Le long des salles tapissées de couleurs chaudes, les portraits de tout ce que le royaume comptait d’hom­mes de plume (Molière, Racine, Corneille, Boileau, La Fontaine…) et de grands commis de l’État (le surintendant Fouquet et l’intègre d’Or­messon, Pom­ponne, Lamoi­gnon…) défilent en bon ordre. Sans oublier le sabre (le Grand Condé et son rival Turenne, le duc de Lauzun…) et le goupillon (Bossuet, Bourdaloue, Fléchier…). Nombre de femmes qui ont marqué le Grand Siècle de leur empreinte répondent également à l’appel : qu’elles aient été épouse du roi (Mme de Main­tenon) ou favorites (la marquise de Montespan, la duchesse de Fontanges), romancières (Mme de La Fayette, mademoiselle de Scudéry), empoisonneuses (la Brinvilliers, la Poison) ou courtisanes (Ninon de Lenclos).

Mais au-delà de cette galerie de portraits – de qualité inégale… –, le visiteur retiendra l’image obsédante de la "divine épistolière", qui apparaît pas moins de quatre-vingts fois ! Outre huit tableaux – dont le beau portrait en pied qui ouvre l’exposition, le célèbre pastel de Robert Nanteuil, et un tendre portrait de Marie de Rabutin jeune attribué à Henri Beaubrun –, le mythe qui s’est créé autour de la marquise a incité les deux commissaires, Jean-Marie Bruson et Anne Forray-Carlier, à sélectionner une série d’objets à son effigie (tasse en porcelaine de Sèvres, boîtes de chocolat, figurines publicitaires pour les cafés Mokarex…), de rares meubles lui ayant appartenu avec plus ou moins de certitude (lit, fauteuil, bureau…), et d’authentiques reliques (mèche de cheveux, morceaux de sa robe mortuaire). Enfin, la visite se clôt en apothéose dans une rotonde où sont exposées une soixantaine de gravures représentant l’ancienne hôtesse des lieux. Cette iconographie pléthorique témoigne peut-être davantage de l’admiration unanime portée à Mme de Sévigné qu’à son œuvre, finalement peu connue… comme le laisse supposer le nombre inhabituel d’inscriptions aux visites commentées qu’a enregistré le musée.

MADAME DE SÉVIGNÉ, jusqu’au 12 janvier, Musée Carnavalet, 23 rue de Sévigné 75003 Paris, tlj sauf lundi 10h-17h40. Catalogue par Anne Forray-Carlier et Jean-Marie Bruson, 192 p., 231 ill. coul. et n. & b., 275 F. Lectures-spectacles gratuites organisées jusqu’au mois de janvier, tél. 01 42 72 21 13.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°30 du 1 novembre 1996, avec le titre suivant : La Carnavalette de la marquise

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