La Cité interdite : côté Cour, côté jardin

Au Petit Palais, l’art pompier des derniers empereurs

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 1 novembre 1996 - 674 mots

De Berlin à Lisbonne en passant par Rotterdam, pas moins de neuf expositions ont dévoilé, ces quinze dernières années, les \"trésors\" de la Cité interdite de Pékin. Le Petit Palais accueille à son tour quelque cent cinquante-sept pièces, toutes issues des collections du palais impérial. Loin de se résumer à un bric-à-brac incohérent, l’exposition préfère se concentrer sur les derniers feux de l’Empire chinois et de ses souverains, les Qing (1644-1911). N’en déplaise aux esthètes, qui stigmatisent bien souvent l’art académique et servile de ces \"Barbares du Nord\"...

PARIS - Le Petit Palais accueille cet automne une énième exposition consacrée à ces objets qui relèvent davantage de l’artisanat de cour que de l’art à proprement parler. "Un côté très Soliman le Magnifique, l’anti Nara", comme le résume non sans humour Gilles Béguin, conservateur au musée Cernuschi et commissaire général de l’exposition, par allusion au sobre dépouillement des quelque cinquante chefs-d’œuvre nippons présentés dans le Grand Palais voisin.

Et pourtant, la muséographie de Philippe Pumain (qui signe également celle de l’exposition consacrée à Madame de Sévigné, au Musée Carnavalet) devrait éviter le piège de la reconstitution fidèle. Point de "chinoiseries", rien d’anecdotique, mais plutôt des clins d’œil indirects à une Chine impériale engluée dans son or et sa pourpre : un long couloir et des objets rejetés sur les côtés pour mieux traduire l’impression d’enfermement, d’étouffement au sein de la Cité interdite ; des archives photographiques datant du début du siècle pour introduire le visiteur dans une ambiance nostalgique "à la Pierre Loti" (l’écrivain visita, au début de ce siècle, le palais abandonné par ses principaux acteurs) ; une maquette dévoilant les rouages de cet espace labyrinthique qui s’étend sur près de 72 hectares... Ici, un jeu de miroir multiplie à l’infini les armures d’apparat et les bannières reflétant les conquêtes territoriales de ces envahisseurs mandchous renversant les Ming pour asseoir fièrement leur dynastie. (Ces "Barbares sinisés" prennent Pékin en 1644 et éradiquent en quelque 35 ans toute résistance armée au sein du pays).

Là, une série de portraits officiels traduit la rigueur de l’étiquette, tout en perpétuant avec froideur un style hérité de la grande peinture traditionnelle. Costumes d’apparat, trône, vaisselle d’or ou sceaux précieux incarnent autant de symboles d’un pouvoir d’essence divine. L’Empereur n’est-il pas ce Fils du Ciel, protégé au cœur de son palais, telle une reine abeille au milieu de sa ruche ? Le bouddhisme lamaïque de la dynastie mandchoue est évoqué par une série d’objets rituels mêlant, dans un style baroque aussi macabre que précieux, os humains et bronzes dorés... Une escapade hors des murs de la Cité pourpre projette alors le visiteur dans ces lointaines terres du Sud, lieux d’inspection ou de pèlerinage des souverains Qing. Sur ce très beau rouleau signé Xu Yang, on reconnaît ainsi l’empereur Qianlong, fondateur de la civilisation chinoise (qui régna de 1736 à 1796), en visite au temple de Yu-Le-Grand.

Un XIXe un peu tarte…
On renoue bien vite, cependant avec l’atmosphère étouffante et feutrée de la Cité qui dévoile, derrière ses écrans de nacre, les délices de son intimité. Boîtes à fards, ustensiles de toilette, mais aussi protège-ongles orfèvrés, reflètent à merveille le raffinement comme la vacuité de l’existence de ces impératrices, épouses et concubines au statut fortement hiérarchisé. Dernier volet de l’exposition, les objets collectionnés par les souverains mandchous illustrent bien tout le paradoxe de cette dynastie fière de ses origines mais soucieuse de légitimité culturelle : jades archaïques renouant avec l’amour de l’archéologie des empereurs chinois, pendules, automates – et surtout cette sphère céleste reflétant le goût de l’empereur Kangxi pour les sciences occidentales –, enfin jardinières ou boîtes précieuses d’un rococo surchargé qui font détester aux amateurs d’art classique cette période, qu’ils jugent par trop décadente ! "Un XVIIe et un XVIIIe siècle superbes, un XIXe un peu tarte", comme le concède lui-même Gilles Béguin...

LA CITÉ INTERDITE, VIE PUBLIQUE ET PRIVÉE DES EMPEREURS DE CHINE, du 9 novembre au 23 février 1997, Petit Palais, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris, tlj sauf lundi 10h-17h40. Catalogue coédité par Paris-Musées et l’AFAA.

Les tribulations d’un pot en Chine
Alors que la Cité interdite exporte ses trésors en Occident, Jean-Pierre Raynaud imprime de sa marque la maison impériale chinoise en y exposant son gigantesque Pot doré. Après Berlin, où elle apparaissait suspendue au-dessus du plus grand chantier de la ville, la sculpture, qui épouse la forme exacte d’un pot de fleurs de 3,50 m de haut, poursuit sa transhumance depuis qu’elle a quitté sa terre d’origine : le parc de la Fondation Cartier, à Jouy-en-Josas, pour lequel elle avait été initialement créée en 1985. De là est née, en collaboration avec Cartier Hong Kong, l’idée de cette exposition, présentée jusqu’au 6 novembre, dans ce saint des saints de l’Histoire chinoise...

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°30 du 1 novembre 1996, avec le titre suivant : La Cité interdite : côté Cour, côté jardin

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