Face-à-face

Variations sur un même thème

Malgré des vues divergentes, Matisse a beaucoup puisé chez Rodin

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 10 novembre 2009 - 643 mots

PARIS - Parmi les innombrables études comparatives entre artistes qui ont proliféré ces dernières années, le duo Matisse-Rodin n’a été qu’esquissé.

Issus de deux générations différentes (Matissé est né en 1869 et Rodin en 1840), les deux hommes ont respectivement révolutionné la peinture et la sculpture et n’ont, a priori, pas grand-chose à voir l’un avec l’autre. On a pourtant tendance à oublier que, sous son pelage fauve, Matisse s’adonne aussi à la sculpture et Rodin, s’il n’était pas son mentor, était à ses yeux une figure incontournable. Au printemps dernier, « Oublier Rodin ? La sculpture à Paris, 1905-1914 », au Musée d’Orsay, analysait justement la difficile gestion de l’héritage Rodin pour les jeunes générations de sculpteurs avant la Première Guerre mondiale, et Matisse y avait sa place avec deux pièces foncièrement antinomiques, La Serpentine et Le Serf. Non sans faire appel à d’autres collections publiques et privées, en France comme à l’étranger, le Musée Rodin et le Musée Matisse à Nice (où l’exposition a effectué une première étape cet été) ont puisé dans leurs réserves pour orchestrer ce face-à-face surprenant, car révélateur d’un rapport complexe où l’audace de Matisse est à la hauteur de l’assurance du patriarche de Meudon.
Première ingéniosité de l’accrochage : la visite s’ouvre par le dessin. Judicieusement sélectionnées pour se répondre ou se contredire, les œuvres ici réunies nous rappellent que le dessin chez Matisse ne se résume pas aux grandes feuilles des années 1930 et 1940, aux mains bâclées, aux chevelures bouclées et aux regards poétiques. Le corps féminin y est puissamment modelé, qu’il s’agisse d’un croquis pris sur le vif ou d’un motif plus travaillé. Rodin, lui, s’applique à traduire le mouvement, ne quittant pas son modèle des yeux, reproduisant son geste à l’infini ou se limitant à une seule ligne rehaussée d’un lavis rose orangé. Lors de leur rencontre en 1899, le vieux maître avait pourtant recommandé à Matisse de mieux s’appliquer pour saisir tous les détails de son modèle. Une recommandation que le fauve s’est bien gardé de suivre. Peu après, ce dernier a fait l’acquisition du Buste de Rochefort, exécuté cinq ans plus tôt par Rodin, et s’est empressé de le coucher sur papier, comme pour en saisir la substantifique moelle. Une émulation que l’on retrouve dans la salle suivante, parfaite mise en scène de la façon dont Matisse observe de près L’Homme qui marche sur une colonne et le Nu de Pierre de Wissant pour la conception de son Serf, puissant nu académique. La danse est elle aussi un sujet que les deux hommes affectionnent particulièrement, mais Rodin se rapproche ici plus de Degas en tentant de capturer le mouvement sur de petites figurines aux positions variées.
Jouant sur les instants où les artistes finissent par se confondre, tant leurs méthodes convergent, le parcours thématique s’achève sur un tour de force : la série des Nus de dos, imposantes portes en bronze dont les quatre états ont respectivement été réalisés en 1909, 1913, 1916-1917 et 1930. Parti d’une silhouette féminine aux formes rondes et pleines, Matisse travaille son sujet pendant une vingtaine d’années et finit par donner une leçon définitive sur la simplification de la ligne. Le musée Rodin prouve ainsi une nouvelle fois sa maîtrise des expositions temporaires, livrant des propos didactiques destinés aussi bien aux néophytes qu’aux spécialistes. Reflétant le rapport ouvert entre les deux artistes, la présente scénographie joue sur les transparences et réserve de précieux moments. À l’image de cette vitrine consacrée à la danse qui, grâce à un alignement des petits modèles en exercice, semble s’animer pour offrir un mouvement décomposé.

MATISSE & RODIN, jusqu’au 28 février 2010, Musée Rodin, 79, rue de Varenne, 75007 Paris, tél. 01 44 18 61 58, www.musee-rodin.fr, tlj sauf lundi 10h-17h45, mercredi 10h-20h45. Catalogue, coédité par le musée et la RMN, 160 p., 130 ill. couleurs, 35 euros, ISBN 9-782-71185612-1

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°313 du 13 novembre 2009, avec le titre suivant : Variations sur un même thème

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