Mélancolie de Jean Clair

Deux recueils d’articles et une monographie

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1997 - 459 mots

Le directeur du musée Picasso regroupe en deux volumes les principaux articles et préfaces qu’il a signés ces quinze dernières années. On y retrouve naturellement ses thèmes de prédilection, qui s’enchâssent ici dans une perspective élargie.

Il y a, dans les écrits de Jean Clair, une persistante adéquation entre ses thèses, ses goûts et le style même de son argumentation. De la règle au gouffre, pour reprendre le titre de l’un de ses articles, de l’âge d’or de l’art à son inexorable déclin, du symbolisme à Lucian Freud, l’auteur reprend inlassablement ces chevaux de bataille qui ont assis sa réputation controversée. La tonalité de l’écriture elle aussi reste constante, à la fois précise et débonnaire, provocante mais apaisée, presque fataliste, contenue dans l’évidence. Qu’il n’y ait aucun hiatus entre le fond et la forme c’est, bien sûr, la moindre des choses objectera-t-on, mais en dehors du fait que prévalent généralement les écritures admiratives ou sèchement érudites, il est rare qu’un dénominateur commun au fond et à la forme soit aussi manifeste.

L’écrivain et l’historien
Le saturnisme n’est pas par hasard le thème de l’un de ses recueils, et la mélancolie enveloppe d’un même voile les œuvres sollicitées et la période lancinante des phrases de l’auteur. Le légitime souci de redécouvrir des pans entiers de l’histoire, qui est très loin d’être "révisionniste" comme on a pu le dire, obscurcis selon lui par une doxa triomphante et arrogante, est corollaire de son intérêt pour les périphéries plutôt que pour les centres, pour l’inconscient plutôt que pour les contenus manifestes. De sorte que, même lorsqu’il n’adopte pas l’esthétique explicite du fragment, l’auteur tient toujours en réserve ses conclusions, fidèle en cela au précepte flaubertien qui prévient que la bêtise consiste à vouloir conclure.

La multiplication des arguments tisse alors un réseau auquel ces recueils donnent un socle paradoxal, objet d’un mouvement oscillatoire, qui empêche toute instrumentalisation des idées et des œuvres. L’écrivain reste un historien et, comme tel, ne cherche pas à incarner les silhouettes et les fantômes qu’il déplace et croise avec science. Tout se passe comme si les corps pleins de Lucian Freud ne pouvaient jamais parvenir à habiter ce théâtre du siècle imaginaire et à jamais déserté dont De Chirico a livré les clefs. Dans la monographie qu’il consacre à Sam Szafran, Jean Clair arpente une nouvelle fois les ateliers vides et dépressifs que métamorphose un pinceau virtuose, avec toutefois moins de conviction que lorsqu’il s’agit de Sironi ou de Balthus. L’historien mélancolique répugne à se faire l’idéologue d’un présent qu’il préfère tenir à distance.

Jean Clair, Éloge du visible, éditions Gallimard, 228 p., 145 F.
Jean Clair, Malinconia, motifs saturniens dans l’art de l’entre-deux-guerres, éditions Gallimard, 248 p., 160 F.
Jean Clair, Szafran, éditions Skira, 224 p., 750 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°32 du 1 janvier 1997, avec le titre suivant : Mélancolie de Jean Clair

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