Quand les yeux salivent

Inventaire culinaire à Bruxelles

Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1997 - 482 mots

Un remarquable parcours offre en une soixantaine de tableaux, du XVIe siècle à l’art moderne, un panorama de l’art gourmand.

BRUXELLES (de notre correspondant) - Évoquer l’univers de la gastronomie à travers la peinture constitue une gageure dont les organisateurs de l’actuelle exposition se sont fort bien tirés, en premier lieu par la qualité des toiles présentées. Résistant à la tentation iconologique de laisser se succéder des œuvres de moindre qualité sous prétexte de l’évidence du thème, le parcours s’est voulu sélectif. Sauf exceptions, les œuvres exposées sont toutes d’un excellent niveau, et celles qui y dérogent – les trois toiles d’Oudry notamment – ont au moins le mérite de dévoiler des tableaux rarement visibles. On s’arrêtera ainsi sur un luxuriant Jan Davidsz de Heem, devant un Arcimboldo piscicole, un troublant Sébastien Stoskopff, un Braque épuré, sans oublier les puissants harengs saurs de Van Gogh ou la raie carnavalesque de James Ensor.

Articulée par thèmes (scènes de marché et de cuisine, tables dressées, natures mortes aux poissons et fruits de mer, scènes de chasse et natures mortes de fruits et de légumes), l’exposition offre à chacun la possibilité de saisir les nuances de sensibilité des artistes au-delà des siècles et des nations. Le détail trahit l’attachement à ces mets négligemment jetés ou savamment disposés. L’ombre et la lumière, alliées au talent du peintre, révèlent ici la suavité des matières, là la précision du tracé. L’objet, qu’il soit poisson, gibier, homard, raisin ou betterave, vibre d’une signification qui renvoie à la culture et aux mœurs d’une époque. À la moralité de ces vanités répond l’attrait pour le met exotique ou rare. Face à la Nature morte d’apparat ou Table servie signée par Jan Davidsz de Heem, le spectateur est saisi d’un délire du regard tant les détails abondent, comme s’il fallait toucher des yeux pour mieux appréhender les sensations qui s’y déploient. On sent bien qu’au-delà de la nourriture, s’élabore une signification symbolique.

Un livre à dévorer
En marge de l’exposition, le volumineux ouvrage publié pour l’occasion multiplie les angles d’approche : ouvrage d’art, il complète la vision des œuvres par de savants commentaires ; étude culturelle, il allie une sociologie de la "gastolâtrie" à une politique de la gastronomie. Cette dernière étude, signée Michel Onfray, pèche sans doute par excès en taxant les régionalismes culinaires d’aspirations fascistes. On appréciera néanmoins la diversité des regards portés sur le rituel de la table et sur ses valeurs symboliques.

L’ouvrage offre également un ensemble de recettes signées par les plus grands noms de la gastronomie française, belge et aussi allemande (chaque ticket d’entrée est accompagné d’une recette). Simples et accessibles, celles-ci font d’un ouvrage scientifique un savoureux objet de désir.

L’ART GOURMAND, jusqu’au 23 février, Galerie du Crédit Communal-Passage 44, Bruxelles, tlj sauf lundi 10h-18h, entrée : 150 FB. Ouvrage publié en néerlandais et en français, 348 p., 2 460 FB (version abrégée, 960 FB).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°32 du 1 janvier 1997, avec le titre suivant : Quand les yeux salivent

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