Le mois vu par Michel Verjux, artiste

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1997 - 821 mots

Michel Verjux, 40 ans, a été l’un des artisans de la création du Consortium, le centre d’art contemporain de Dijon. Depuis la fin des années quatre-vingt, il réalise des \"éclairages\", projections de lumière venant matérialiser des formes géométriques sur les volumes qu’elles rencontrent. Il a exposé dans de nombreux musées et galeries, en France et à l’étranger. Ses œuvres sont actuellement visibles à La Nuova Pesa, une galerie de Rome, ainsi qu’aux États-Unis, à la Albright-Knox Art Gallery de Buffalo. Il commente l’actualité du mois.

Que pensez-vous de la décision de fermer pendant deux ans le Centre Georges Pompidou ?
Il est dommage pour le grand public, autant que pour le public plus averti, de fermer ce bâtiment pendant deux ans. Mais si les réparations et les réaménagements pouvaient au moins permettre aux conservateurs et aux autres médiateurs de l’art de prendre du recul, de se reposer certaines questions fondamentales et de retrouver une motivation – celle de la modernité – pour eux-même et le public, nous n’aurions pas trop perdu !

Est-ce que cela ne va pas créer un grand vide dans la vie artistique parisienne ?
Je ne crois pas que l’on se précipite à Beaubourg en pensant que "tout" s’y passe. Il existe d’autres lieux, comme le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, le Jeu de Paume ou les galeries. Mais sachant que ce qui se passe à Paris est souvent perçu comme le seul reflet, dans notre pays très centralisé, de ce qui se passe en France, il ne faudrait pas que cette fermeture apparaisse comme le symbole d’un désintérêt pour l’art moderne et contemporain.

"Made In France" va présenter au Centre Pompidou la création en France entre 1947 et 1997 (lire page 18). Comment sont perçus d’après vous les artistes français à l’étranger ?
Il sont très peu ou très mal perçus, en tout cas en ce qui concerne la création de ces vingt dernières années. L’énorme défaut des institutions françaises est de ne pas promouvoir suffisamment ses propres artistes. Et puis le relais ne se fait pas avec les critiques et les journalistes. En France, il n’y a pas assez d’authentique communication intellectuelle. Chacun a peur de ne pas paraître assez intelligent aux yeux de son voisin. Tout le monde se méfie de tout le monde et très peu de choses sont dites. C’est un frein regrettable. D’où vient ce scepticisme des Français à défendre les créateurs à l’étranger ? Je reviens de Rome. Tous les quatre ans y est organisée une exposition d’artistes italiens. Certes, la qualité n’y est pas très bonne, mais sur le principe, il existe une possiblité de connaître des artistes italiens qui ont entre trente et quarante ans. Ce type de manifestation n’existe pas en France. Les Américains et les Allemands sont plus efficaces encore. Ils organisent des expositions internationales dans lesquelles ils présentent des artistes de leur pays et ceux qui sont considérés comme les meilleurs artistes étrangers du moment. C’est d’une stratégie un peu plus fructueuse que la nôtre.

Parallèlement à votre exposition, le musée de Buffalo va vous ouvrir un site sur l’Internet. Quelle est votre approche des nouveaux médias ?
J’ai toujours été sensible aux différents moyens d’expression et de communication. Cette question était centrale quand je faisais des performances. La pensée philosophique antique – mais aussi plus contemporaine (Peirce, Wittgenstein, Austin, Bouveresse...) – nourrissant de plus en plus ma pratique artistique et ma réflexion m’a ensuite conduit à travailler avec des outils plus réduits. Mais les langages, quels qu’ils soient, font toujours partie de mes préoccupations plus générales, et l’Internet en est un de plus. Il n’y a aucune raison de passer à côté, pas plus que de tomber dans le mythe du grand réseau des réseaux de signes qui pourrait nous connecter avec tout. La Albright-Knox Art Gallery, à Buffalo, m’a ouvert un site en décembre à l’occasion de mon exposition personnelle, comme elle le fait dorénavant pour chacun des artistes qu’elle expose. Les musées français devraient être attentifs à ce nouveau moyen de diffusion de l’information. Mais ni un catalogue, ni l’Internet ne remplacent une exposition dans un espace réel.

Quelle est l’exposition qui vous a marqué ces derniers temps ?
Celle d’On Kawara au Nouveau Musée de Villeurbanne. C’est la plus forte existentiellement, constructivement et symboliquement. Cette œuvre est toujours pertinente, d’actualité, éloquente. Les œuvres d’On Kawara sont, dans la façon de penser, de travailler, toujours très présentes à mon esprit. Les artistes dont on dit qu’ils font toujours la même chose mais qui travaillent sur quelque chose de minimum et d’essentiel, et pourtant d’ouvert et de multiple, sont les plus féconds à mes yeux. Bien sûr, ils vont contre cette tendance, en vogue depuis plus de trente ans, à développer une grande variété apparente de "produits" ou de "services", comme la société de consommation le réclame. Peut-être touchent-ils à quelque chose de sublime, si l’on peut encore employer ce terme aujourd’hui ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°32 du 1 janvier 1997, avec le titre suivant : Le mois vu par Michel Verjux, artiste

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque